Mariage gay : Va-t-on abandonner la filiation de notre droit ?

Droit romain

Petit retour sur le mariage pour tous. Tant de choses ont été dites  depuis huit mois. Échanges d’arguments, d’insultes. Interventions de bas niveau, ou de très haut niveau. Bonne et mauvaise foi mélangées, de part et d’autre. « Rupture dans la civilisation »  d’un côté « grande avancée du progrès humain »  de l’autre. On a entendu beaucoup de monde : des anthropologues, des philosophes, des psychiatres, des économistes(!), des lobbys, des extrémistes inquiétants (Civitas, Pierre Bergé), des simples citoyens battant le pavé, et même des hommes politiques. Tout cela pour un spectaculaire et passionnel dialogue de sourds. Mais comme d’habitude, on a peu entendu les juristes. Notre pays entretient, des rapports curieux avec le Droit. Probablement parce que, chez nous, le politique prime le juridique. Rappelons-nous l’apostrophe célèbre  d’André Laignel, à Jean Foyer, après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir : « vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ». C’était d’ailleurs souvent cette position qui affleurait  dans les déclarations des partisans du mariage gay, prompts à invoquer l’argument d’autorité. La tradition française, c’est plutôt : un État fort, une régulation administrative, le Droit vient après.  Les Français ont en général un culture juridique et judiciaire assez vague.

C’est dommage, et pour deux raisons. Tout d’abord le Droit français est quelque chose d’assez exceptionnel. Ensuite, l’époque est au recul des États-nations, et des régulations administratives au profit des régulations juridiques. Or cette méconnaissance de notre richesse juridique nous laisse désarmés face à l’invasion du droit anglo-saxon caractérisé  par une casuistique très prosaïque et une plasticité adaptée au libéralisme triomphant.

Enraciné dans le temps long, le Droit français, est quant à lui, issu d’une famille assez particulière. Le grand ancêtre est bien sûr le fabuleux Droit Romain. « Cette autre bible de l’Occident » (Pierre Legendre) Celui où « la réflexion des juristes a fourni des définitions de la personne, de la filiation, de la propriété, des concepts fondamentaux qui structurent notre compréhension de la vie économique, sociale et politique. » (Rémi Brague). Dont nous devrions être les custos historiae (gardiens de la tradition).  Il y a les grands-parents, le droit écrit de la langue d’Oc et la tradition orale de la Langue d’Oil. Et enfin le mariage de  l’État monarchique et de la Révolution. Mariage tumultueux mais qui a produit cet enfant légitime qu’est le Droit français républicain. Et qui existe comme tel. Ainsi que le démontre le recours formé par les parlementaires UMP et UDI devant le Conseil Constitutionnel contre la loi instaurant le mariage pour tous. Car voici venu le temps du Droit et du Juge. Le parlement a légiféré. Au tour de l’arbitre de donner son point de vue. Bien sûr il ne s’agit pas d’une nouvelle lecture politique mais de vérifier l’adéquation formelle de ce texte avec l’ordonnancement juridique fondamental de notre République.

La requête introductive, et le mémoire en réponse du gouvernement sont disponibles sur le net. Lecture passionnante  même si certains passages pourront s’avérer ardus pour des non juristes.  Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les demandeurs au recours placent toute leur réflexion en altitude. Dans le sens du mot latin altus, haute et profonde, verticale et monumentale.  Ne nous méprenons pas, le mémoire du Gouvernement est lui aussi de qualité. Mais les deux approches sont fondamentalement différentes. Les opposants au mariage gay partent d’une conceptualisation juridico-historique du Mariage Civil républicain. Toute leur démonstration se décline à partir de cette identification.  «Voici ce qu’il est, voilà pourquoi le mariage pour tous, est incompatible avec l’ordonnancement juridique français et donc inconstitutionnel». Impressionnant et séduisant.

Louis Althusser disait que la famille était un « appareil idéologique d’État » c’est-à-dire un outil de reproduction de l’idéologie dominante. Le mémoire démontre que la République quant à elle, a entendu en faire un outil d’organisation sociale de la filiation et de l’engendrement, et par conséquent, une structure directement liée à l’État républicain. Le mettre en cause, constituant une rupture majeure.

Le mémoire du gouvernement est sur un tout autre plan. Qui fait d’ailleurs apparaître les positions des opposants comme étant un peu « hors-sol ». Une approche plus simple, complètement pragmatique. Que l’on pourrait résumer, de façon certes un peu tendancieuse, « le mariage de personnes de même sexe, pourquoi pas ? »  Et qui d’ailleurs, ne s’encombre guère des passagers clandestins qu’étaient les termes « égalité » « droit au mariage » qui n’avaient rien à faire dans ce débat,  le mariage ne constituant pas, à l’évidence un « droit-créance » comme le droit à la sécurité ou le droit au logement.  Le propos  plus « près du sol » peut s’avérer assez convaincant, Cependant, si ce débat judiciaire contradictoire ne constitue pas un dialogue de sourds, on voit bien que les deux parties ne se situent pas sur le même plan. Aux deux approches différentes sinon opposées de ce que sont le mariage et la famille dans la République, répondent deux conceptions différentes voire opposées du Droit et de l’ordonnancement juridique dans la société française d’aujourd’hui. Le diable se situant dans les détails, prenons un exemple qui illustre ce propos.

Secondaire, il concerne la modification du code du travail.

La loi nouvelle prévoit qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire  pour avoir refusé « en raison de son orientation sexuelle » une mutation géographique « dans un État incriminant l’homosexualité ».

Première objection des opposants : l’homosexualité d’un individu, et donc d’un salarié, est invérifiable et cette mesure protège exclusivement un salarié ou une salariée homosexuels.

Ensuite nous avons là, selon la sexualité pratiquée, tantôt une atteinte à l’égalité, sans motif d’intérêt général, au profit exclusif de l’homosexualité, tantôt une inégalité en sens inverse : droit à aucune forme de protection pour avoir refusé une mutation géographique dans un État incriminant une autre forme de sexualité interdite et que le salarié pratiquerait. Voilà des arguments solides.

Autre obstacle majeur, pour mettre en oeuvre cette protection, le salarié  sera obligé de dévoiler à son employeur son orientation sexuelle, en méconnaissance de son droit au respect de la vie privée. Effectivement.

Enfin, par un singulier renversement, cette mesure introduit une différence entre salariés, selon leur sexualité, ce qui est contraire au principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction, garanti tant par la Déclaration de 1789 que par l’article 1er de la Constitution. Les salariés homosexuels  se voient reconnaitre une protection différente et supérieure en droit du travail par rapport à leurs collègues de la même entreprise. Cela s’appelle de la discrimination…

L’argumentation repose ici, essentiellement sur l’invocation des Principes. Dont  en particulier, celui du caractère général de la Loi. Celle-ci dispose pour l’ensemble des citoyens, et n’est pas là pour régler des problèmes particuliers.

La réponse du gouvernement est elle aussi convaincante : «L’article ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée, le salarié étant libre d’invoquer ou non le droit qu’il tire de l’article L. 1132-2, et de révéler ainsi son orientation sexuelle. Il ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité, dès lors que les couples de personnes de même sexe ne sont pas dans la même situation que les autres couples compte tenu de l’existence de très nombreux pays réprimant l’homosexualité et le mariage entre personnes de même sexe

On est là dans le concret. Le mariage gay va avoir des inconvénients dans certaines situations. On les règle au cas par cas. On est bien, dans la casuistique pragmatique. Y compris parfois de façon un peu hasardeuse. Pour justifier cette mesure, dont l’utilité, quoique secondaire, apparaît certaine, on invoque l’existence d’un risque : «il faut noter que, du fait de l’ouverture du mariage, le risque est accru puisque l’orientation sexuelle de la personne ressort nécessairement des actes de mariage qui font mention des deux conjoints.»  Du livret de famille comme preuve de « l’orientation sexuelle » c’est assez joli….

Tout cela démontre l’existence de deux logiques, de deux modes de raisonnement, de deux approches juridiques très différentes. L’une se fait par le haut, l’autre plutôt par le bas. Et pour éviter le caractère éventuellement péjoratif de cette présentation, l’une serait verticale et l’autre horizontale.

Expliquons-nous : l’ordonnancement juridique français est un système pyramidal, qui introduit une hiérarchie des normes. Tout en haut, les textes et les principes fondamentaux, en dessous, toute une série de strates normatives (lois, décrets, arrêtés, règlements, décisions individuelles). Et naturellement, les normes inférieures ne doivent pas être contraires aux normes supérieures. Ce dispositif  est dit « Kelsenien » par référence au théoricien autrichien Hans kelsen. (D’ailleurs invoqué dans le mémoire des opposants à la loi).

L’ordonnancement juridique de type anglo-saxon est très différent. De façon, certes, assez caricaturale, on peut le présenter comme étant horizontal. Il n’y a pas, ou peu de hiérarchie des normes. Les dispositifs sont juxtaposés, leurs origines sont diverses, à charge pour le juge, si besoin est, de les articuler, et d’arbitrer entre eux. Avec deux objectifs essentiels : équité et efficacité. Il faut être honnête et constater que le Droit français est déjà entré en métissage.

Que va faire le Conseil Constitutionnel ? Sans lui faire de procès d’intention, Il est malheureusement probable que, soucieux de sortir de ce débat trop passionnel et désormais faussé, il prenne, comme il le fait souvent, une décision à caractère politique, et botte soigneusement en touche en validant la loi.  Difficile de le lui reprocher.

Mais alors, il prendrait parti  pour une voie. Il ferait plus que répondre à la question de savoir  si la loi est conforme à la Constitution. Il ferait le choix  entre deux ordonnancements juridiques. Au détriment de celui du Droit  français républicain, où le mariage civil  fait partie du socle, il préférerait l’autre chemin, celui d’un droit prosaïque, pragmatique, individualiste et d’inspiration manifestement anglo-saxonne. Et qui est, inutile de se le cacher, celui de la mondialisation libérale

Les congrès juridiques internationaux résonnent des imprécations contre les droits latins et le Droit français en particulier, qui ne seraient « pas bon pour les affaires ». Le Conseil Constitutionnel va probablement nous dire qu’il n’est pas bon non plus pour la «modernité».

Chateaubriand en concluant ses mémoires prévoyait la venue d’une  langue française  transformée en «pure transaction commerciale». En sera-t-il de même de notre Droit? On peut le craindre, parce que comme le dit Pierre Legendre, « il n’est rien de plus humain que la fuite de ce que l’on est».

Régis de Castelnau

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