Qui a peur de Bouvines?

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Les officiels ont négligé une date-clé de notre roman national.

Le dimanche 27 juillet 1214, se déroula la bataille de Bouvines qui vit la victoire de Philippe Auguste sur une coalition constituée de princes et seigneurs français, menée par Jean sans Terre, duc d’Aquitaine, de Normandie et roi d’Angleterre, et soutenue par l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Otton IV. Cet événement est considéré par tous les historiens comme tout à fait essentiel dans l’histoire de notre pays. Les conditions dans lesquelles il se déroula, les forces qui y étaient impliquées, les conséquences qu’il eut, tout cela lui a forgé une place importante dans notre roman national. Ignorant la « trêve de Dieu » et l’interdiction médiévale du combat le jour du Seigneur, celui-ci se déroula un dimanche. Pour la première fois y participèrent, au-delà des chevaliers et des troupes soldées, des « milices communales » envoyées par les communes de l’État capétien qui avaient répondu à l’appel de Philippe Auguste.

Ses conséquences furent très importantes, puisque l’Empereur Otton en perdit son trône, et que Jean sans Terre, déconsidéré, fut contraint d’accorder à ses barons « La Grande Charte ». Alors qu’au contraire, Philippe Auguste dominait désormais incontestablement ses barons. À partir de là, la longue construction des deux États prendra des routes différentes. Nous avons encore aujourd’hui le résultat sous les yeux. L’Histoire est ainsi faite d’un temps long dans lequel s’inscrivent les événements aléatoires, mais essentiels. Bouvines est l’un d’eux. La IIIe République avait prévu d’en commémorer solennellement le 700e  anniversaire. La survenance de la Première guerre mondiale rendit cette commémoration impossible et la stèle édifiée pour l’occasion fut transformée en monument aux morts sur lequel figurait la phrase de Paul Bourget : «« La bataille de la Marne c’est Bouvines renouvelé à sept cent ans de distance. »  Georges Duby, un de nos grands médiévistes, écrivit sur cette journée un livre inoubliable, qui fut un très grand succès, il y a quarante ans[1. Le dimanche de Bouvines, Gallimard, 1974.].

Cette année, pour le 800ème anniversaire, tout le monde s’y est mis. Des centaines de bénévoles, les collectivités locales, des artistes ont pris en charge une commémoration impressionnante. Spectacles, cérémonies, expositions se sont multipliées. Je recommande en particulier la reconstitution du champ de bataille en Playmobils (!), un bonheur. Jusqu’aux organisateurs du Tour de France qui ne s’y sont pas trompés. Toujours handicapés par la disqualification de la dimension sportive de leur épreuve, ils veillent à son caractère touristique et historique. Pas fous, le Tour est évidemment passé à Bouvines… En plus, cette année le 27 juillet tombait aussi un dimanche. Tout était donc réuni pour cette fête commémorative dans cette année qui en sera riche. Les habitants du Nord s’en faisaient une joie. Et l’État dans tout cela ? On espérait la présence du Président de la République, son prédécesseur également prénommé François s’était bien déplacé, aux côtés du Comte de Paris pour le millénaire de l’élection d’Hugues Capet. Ce serait non pour cause de déplacement à l’Ile de la Réunion, il devait être remplacé par le Premier Ministre.

Eh bien, finalement, il n’y a eu personne. Trois jours avant, Manuel Valls s’est aperçu que la dernière étape du Tour de France partait d’Évry, la ville où il fut parachuté il y a quelques années, il ne pouvait pas rater ça. Les participants aux cérémonies de Bouvines n’ont même pas pu se contenter du préfet. La presse régionale a adoré. Pourquoi revenir un peu en détail sur cette muflerie désinvolte ? Parce qu’elle en dit long, très long  sur le niveau de ceux qui gouvernent aujourd’hui. Cela me rappelle la cour des Invalides, vide de tout représentant du gouvernement pour les obsèques  de Roland de la Poype, ancien de Normandie Niemen  et Compagnon de la Libération. Poutine, n’avait pas oublié lui, de s’y faire représenter.

Le rapport à notre pays est marqué par une déculturation assez stupéfiante. Qui fait préférer à un Premier ministre une dérisoire exhibition devant les caméras du Tour de France plutôt que de remplir un engagement à grande portée symbolique lié à sa fonction. En revanche, il est sûr que nous le verrons, comme l’année dernière dans les gazettes , parader en chemise blanche dépoitraillée, uniforme de rigueur, aux côtés de BHL à Saint-Paul de Vence. Ou ailleurs en compagnie de saltimbanques germanopratins du même acabit. Le niveau politique, ensuite. On pouvait être tranquille, le FN, lui n’a pas raté l’occasion. Sur Bouvines, il en a fait des tonnes. On lui a déjà laissé le social, la nation, la laïcité, maintenant on va lui abandonner l’Histoire de France. Et pendant ce temps, la séquence catastrophe aérienne, épisode que l’on peut qualifier de ridicule. L’entier gouvernement inutilement mobilisé sous l’œil des caméras, les déclarations solennelles du Président en personne toutes les demi-heures, les drapeaux en berne et trois jours de deuil national ! Où s’arrêtera cette surenchère compassionnelle ? Je ne sais plus qui a dit que François Hollande cédait à la dictature de l’émotion. Mais c’est lui qui l’organise ! Cette catastrophe est tragique mais ne justifie en aucun cas cette mise en scène. Il y a eu 54 Français tués dans cet accident. C’est l’équivalent de quatre jours d’accidents de voiture. Je me souviens d’un drame de la route qui avait fait 53 morts dont 44 enfants, celui de Beaune en 1982. De l’attitude parfaite d’humanité et de dignité du Président de la République de l’époque et de son ministre des Transports. Et pendant ce temps, le Moyen-Orient est en feu, la Libye s’effondre, l’Irak est en partie sous la coupe des fous de Dieu, la guerre civile en Ukraine s’étend.

En ces temps de commémoration du déclenchement de la Première guerre mondiale, peut-être faudrait-il commencer à sérieusement s’en préoccuper. La France, qui a des responsabilités historiques et diplomatiques, n’en assume actuellement aucune. Il y a un petit jeu auquel s’était livré Jean-Pierre Chevènement au moment de l’invasion de l’Irak en 2003. On se rappelle l’opposition de Jacques Chirac. Chevènement posait malicieusement la question de savoir quelle aurait été la position de la France si Lionel Jospin avait été élu l’année précédente. Il répondait, qu’à l’instar de Tony Blair, Jospin aurait soutenu l’invasion américaine. Je n’en sais rien, mais reconnaissons que ce n’est pas très bon signe que beaucoup commencent à se poser le même genre de question à propos de Nicolas Sarkozy. Le 27 juillet, c’était Bouvines. Le 28, l’anniversaire du 9 Thermidor. Aucune commémoration officielle bien sûr, mais dans les journaux, sur les réseaux, les robespierristes relèvent la tête, parfois vigoureusement. Tu vas voir que le Front national va le récupérer aussi celui-là.

 

Régis de Castelnau

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