Réforme territoriale : c’est très mal parti…

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Hollande considère-t-il la Constitution comme un millefeuilles inutile?

Nicolas Sarkozy, cédant à un effet de mode parisien assez ancien, avait mis en chantier, peu de temps après son arrivée à la présidence de la République, une soi-disant réforme du « mille-feuille territorial ». Une loi prévoyant un conseiller territorial unique qui siégerait à la fois à la région et au conseil général fut adoptée. Pour cette raison, le mandat habituel de six ans de chacune de ces instances avait été modifié. Prolongé pour le Département et raccourcis pour la Région afin de coïncider. C’était la logique. Les élections cantonales de 2008 et les régionales de 2010 ont eu lieu, les électeurs étant informés de la durée du mandat confié à leurs représentants. Cette réforme de bric et de broc fut mal acceptée par les élus locaux de droite, et coûta à l’UMP la majorité du Sénat, aux sénatoriales de septembre 2008. Dans un premier temps, François Hollande ne fut pas ingrat et fit abroger cette création du « conseiller territorial ». La catastrophe des municipales du printemps 2014 prévue par tout le monde sauf par François Hollande qui pensait « enjamber » cette échéance, provoqua le congédiement de Jean-Marc Ayrault, et la nomination de Manuel Valls. La diversion du mariage gay déjà utilisée, la situation économique toujours aussi désastreuse, il fallait trouver quelque chose. Ce fut l’épisode assez ridicule du bricolage improvisé aboutissant à la proposition des 12 nouvelles régions à la place des 28 précédentes et au retour de la suppression des départements.

Nous avons dit dans ces colonnes ce que nous pensions de cette lubie qui vise à détruire un système qui marche, en prévoyant notamment la suppression du département, instance territoriale à laquelle les Français sont particulièrement attachés et qui ne marche pas si mal, et qui a surtout les missions sociales en charge.

Décidé et martial, pour suppléer comme c’est maintenant la règle, à l’absence d’arguments sérieux, le Premier ministre balaya les objections sur l’inutilité, la difficulté, et le coût de la réforme. Et confia la tâche et un ministère à un élu qui avait été toute sa carrière opposé aux mesures qu’on lui demandait de maintenant mettre en œuvre. Avec la consigne d’aller vite. Et c’est là que les ennuis ont commencé. Première objection, pour supprimer les départements il faut une réforme constitutionnelle. Il n’y a pas de majorité pour cela. Ensuite le redécoupage. Le premier présenté comme une « proposition » était tellement ridicule qu’il a fallu en élaborer un autre, aussi boiteux que le précédent. Et puis, cela commence à gronder chez les élus locaux socialistes dont 30 000 ont disparu dans la tourmente de mars. Alors, peut-être qu’un peu de concertation et moins de n’importe quoi, ne seraient pas de trop. Et puis, il y a quand même une question d’une certaine importance traitée jusqu’à présent avec une drôle de désinvolture: la question des scrutins. On a beaucoup entendu les quelques fidèles survivants du Président de la République appeler au « respect des institutions » face à ceux qui s’interrogeaient sur la capacité de François Hollande à terminer son mandat. Ils ont été plus discrets sur les différentes manipulations auxquelles nous avons assisté. Dans un premier temps, il était envisagé de fixer la date commune des scrutins régionaux et départementaux à la fin 2016, c’est-à-dire à quelques semaines de la fin du mandat de François Hollande.

Ben voyons… En pleine campagne des présidentielles. Gros problème, cette mesure qui amenait à changer la durée des mandats à moins d’un an de leur renouvellement semblait entretenir des rapports assez élastiques avec la rigueur constitutionnelle. Deuxièmement, puisque l’on invitait les collectivités à participer et  à s’impliquer dans l’élaboration de la réforme, peut-être serait-il assez démocratique de le faire avec leur représentativité d’aujourd’hui ? Qui doit être probablement très éloigné de celle de 2008.

L’été est passé, rien n’a été décidé. Nous sommes donc actuellement à cinq mois de l’échéance légale à laquelle doivent se dérouler ces élections locales. Comme c’était prévu, le Conseil Constitutionnel a fait savoir discrètement qu’il ne fallait quand même pas trop exagérer et qu’un allongement de près de deux ans du mandat des conseils généraux ne serait pas accepté. Première tentative de repousser le scrutin commun fin 2015. Ça grince toujours. Dernier état de la réflexion au 12 septembre, nouveau découplage, cantonales pour juin 2015. Pour les régionales, on verra.

Enfin, le 15 septembre annonce que les cantonales seraient maintenues en mars 2015 et les régionales repoussées en décembre de la même année. Ce n’est qu’une simple annonce. Il va falloir une loi, pour repousser les régionales et celle-ci n’est pas encore votée… Pas plus que le décret fixant les dates précises des cantonales de mars prochain.

Bien joué ! À ce niveau d’amateurisme, de tâtonnements et de navigation à vue, on atteint quand même des sommets inquiétants. À cinq mois d’une échéance majeure, on ne sait toujours pas si elle aura lieu. Les élus actuellement en charge ne savent pas s’ils auront cinq mois, un an, deux ans pour la conduite des missions et des projets qui sont les leurs. La loi de 1990 sur le financement de la vie publique et qui a sévèrement réglementé le déroulement des campagnes électorales a expressément prévu deux dates très importantes, relatives au financement des campagnes et à la communication en période électorale. La première un an, et la deuxième six mois avant le scrutin. Impossible à ce jour pour les sortants et les futurs candidats de savoir comment ils doivent s’organiser et quelles sont leurs possibilités d’expression. Sachant que les manquements sont sévèrement sanctionnés comme Nicolas Sarkozy en a fait l’expérience. Cette situation est invraisemblable.

Petit détail ensuite, les communes ont la compétence d’organiser les élections, ce qui leur coûte fort cher. Ce découplage est idiot, il aboutira à des surcoûts conséquents en ces temps d’économie, et surtout il ne servira à rien car personne n’imagine sérieusement que la réforme des régions puisse intervenir avant qu’une nouvelle date d’élections constitutionnellement régulières puisse être fixée. Et puis, autre défaut pour la majorité mais qui pourrait s’avérer un avantage pour l’opposition, cela garantira au parti socialiste deux Bérézina électorales au lieu d’une !

En 1982, les lois de décentralisation adoptées, François Mitterrand étant au pouvoir, avaient fait l’objet d’un travail de préparation et d’élaboration de près de vingt ans. La plupart des textes furent votées quasiment à l’unanimité. Pourtant, les transferts de compétences, de patrimoines, de ressources demandèrent quatre ans. C’est en 1986 que cette décentralisation que l’on essaye aujourd’hui de détruire trouva à vraiment se déployer. Les trente années suivantes ont permis de la faire évoluer et quoi qu’on en dise de l’améliorer. Il y a encore sûrement beaucoup à faire, mais en évitant à tout prix, l’amateurisme, le bricolage et la désinvolture de cette incroyable navigation à vue.

 

Régis de Castelnau

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