Xynthia, la faute sur maire ?

la Faute

Jugement des Sables d’Olonne : une justice pour l’exemple?

Monsieur René Marratier, ex-maire d’une petite ville de Charente, vient d’être condamné par le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne à quatre ans de prison ferme pour coups et blessures involontaires. Une grande première dans l’histoire judiciaire française. Notre justice vient de lâcher la bride au syndrome d’adoration des victimes, et au sacrifice du bouc émissaire. Le respect du droit, et des principes qui doivent guider le procès pénal, la séparation des pouvoirs n’y trouveront pas leur compte. Mais qu’importe, il fallait punir, procéder à l’exorcisme, sacrifier à la nouvelle religion. La planète et la nature sont bonnes. C’est l’homme qui est mauvais. Enfin certains hommes, de préférence ceux qui, en plus de leur boulot, ont décidé par goût et par choix de s’occuper de la communauté. Et ceux-là on ne va pas les rater. La lecture de la décision donne accès à une curieuse littérature ampoulée, où le choix des termes et des effets entretient des rapports assez lointains avec la rigueur juridique. Et où transparaît, ce que l’on avait déjà relevé dans tant d’affaires et en particulier de celle du sang contaminé, une méconnaissance inquiétante de la part des magistrats des conditions concrètes de la gestion publique.

Cette décision met à bas vingt ans de travail où je me suis personnellement très impliqué. Faisant peser sur ceux qui se dévouent souvent bénévolement pour le bien commun, une menace à la fois insupportable et dissuasive.

De quoi s’agit-il en fait ? De la sécurité civile dont on considère que les maires sont responsables sur le territoire de leur commune. Lorsqu’un accident intervient, et qu’il y a morts ou blessés, la justice va rechercher les responsables de ces « homicides et coups et blessures involontaires ». C’est la seule infraction du Code Pénal qui n’exige pas une intention fautive. Le problème, est que la jurisprudence française considère comme pénalement responsables ceux qui ont causé directement (causalité adéquate) le dommage mais aussi ceux qui l’ont causé indirectement (équivalence des conditions). Ainsi, le chauffard traversant un village à grande vitesse en état d’ébriété et tuant un enfant, sera évidemment poursuivi, mais également le maire pour n’avoir pas fait implanter le panneau de limitation à 50 km/h à l’entrée du village. Les livres de droit sont pleins de ces exemples de mise en cause parfois absurdes. Et lois de décentralisation ayant accru les pouvoirs des communes et par conséquent de leur chef d’exécutif, ces affaires qui se multipliaient ont suscité chez les élus une grande inquiétude. Plusieurs tentatives de modification de la loi accompagnées comme toujours par les clameurs des associations de victimes criant à « l’auto amnistie ». Il y eut enfin la « Loi Fauchon » du nom du sénateur qui fut à l’origine de la proposition promulguée en 2001. Désormais, les auteurs « indirects » ne pouvaient être poursuivis et condamnés que si l’on établissait qu’ils avaient commis une faute d’une certaine gravité, soit en violant une règle de sécurité prévue par la loi, soit en exposant autrui à un risque immédiat de blessures ou du de mort qu’ils ne pouvaient ignorer. C’était une façon de réinjecter dans la faute des auteurs indirects une intentionnalité coupable. Malheureusement la jurisprudence s’est cabrée. La dictature de l’émotion prenant le pas sur l’indispensable respect des principes du droit pénal. Mais jamais au point atteint par la décision du tribunal des Sables d’Olonne.

Première caractéristique, la place donnée aux victimes. Nous vivons dans une société compassionnelle où le statut supérieur est celui de victime.  Y accéder donne existence et considération sociale qui fournissent un vrai capital symbolique.  Il est incontestable que par bien des aspects, la nouvelle prise en compte des victimes fut un progrès. Mais aujourd’hui nous en vivons tous les jours les excès. Dans le langage, où le terme même de victime  surgit à tout propos. Dans la survalorisation et la psychologisation des troubles et des traumatismes éventuels comme avec ses cellules d’assistance psychologique fleurissant  à tout propos. Dans le dévoiement de plus en plus fréquent des procédures judiciaires qui ne sont plus là pour sanctionner une violation de la règle sociale, mais pour « reconnaître le statut de victime, aider celles-ci à « se reconstruire » et à « faire leur deuil ».  Ce changement d’objectifs implique obligatoirement le non-respect des règles impératives qui devraient conduire le procès pénal. Comme dans les affaires politico-judiciaires, la fin justifie les moyens.

Le citoyen devient victime de tout. Et par conséquent responsable de rien.  Sauf qu’au malheur, il faut des responsables. Car c’est une pièce à deux faces. Sur l’une, la victime, sur l’autre le responsable (le coupable). La fatalité n’existe plus. Elle est réservée à la situation économique et à l’impuissance de l’État. Le déroulement de l’audience des Sables d’Olonne a illustré de façon paroxystique cette dérive. On crée des salles d’audience immenses  pour recevoir la foule des « ayants droits ». À Marseille, pour l’affaire des prothèses mammaires, le ministère de la justice avait loué et équipé un pavillon du parc des expositions ! Le travail des avocats de la défense se déroule alors dans une atmosphère extrêmement pesante.

La deuxième caractéristique est la recherche du bouc émissaire. Mécanisme très ancien et fort bien étudié, je renvoie ici à l’éminent travail de René Girard. Qui a insisté sur les caractéristiques sociales du bouc émissaire. Celui-ci doit avoir un statut bien identifié, vers lequel convergent ressentiments et idées fausses. L’élu local, le pourri, le clientéliste, qui n’est là que pour se gaver, et dont on n’a pas la moindre idée des compétences institutionnelles réelles et des moyens, est un coupable idéal. La fatalité n’existe plus. En revanche, une catastrophe naturelle dont le bilan humain n’excède pas trois jours d’accidents automobiles, là il faut trouver un coupable. Le procès sera la cérémonie expiatoire. La peine d’une sévérité absurde et ayant d’abord pour fonction de provoquer la mort sociale du notable. René Marratier maire d’une petite commune, quatre fois réélu, a été accueilli en début d’audience par le Président dont on aurait peut-être pu attendre un minimum d’impartialité, par les qualificatifs « d’autiste et d’assassin » ! Le ton était donné. La lecture de la décision qui ne comprend pratiquement que des considérations morales, et qui ne répond à aucun des chefs péremptoires des 70 pages de conclusions déposées par la défense, est pour le juriste un calvaire.

Surtout et c’est la troisième caractéristique, la méconnaissance par le monde judiciaire des conditions concrètes de la gestion publique locale saute aux yeux. Le maire, n’a aucune compétence directe en matière d’urbanisme. Les plans d’urbanisme sont élaborés dans la durée (en général deux ans) sous le contrôle de l’État et des personnes publiques associées. C’est le conseil municipal qui prend la décision finale qui approuve un document élaboré par d’autres. Le maire signe les permis de construire au nom de la commune en ayant compétence liée. C’est-à-dire que si le projet est conforme au plan d’urbanisme, il est obligé de le délivrer. Dans cette affaire, la petite commune ne disposant pas de service compétent, c’est l’État qui les instruisait. Qu’à cela ne tienne, on évitera soigneusement toute mise en cause inopportune de l’État, et on s’acharnera sur ce maire, chef d’une petite entreprise par ailleurs et qui ne pouvait consacrer à la mairie qu’une ou deux heures par jour. Il est coupable de n’avoir pas prévu la survenance d’une catastrophe dont les experts considèrent que la combinaison des facteurs qui ont permis la survenance (tempête, vent, très grande marée) présente une probabilité de survenance tous les 2 000 ans ! Coupable d’avoir délivré des permis qu’il était obligé par la loi de signer, coupable d’être maire d’une commune dont le plan d’urbanisme avait été adopté avant son arrivée, coupable de n’avoir pas organisé avec ses petits bras un plan de secours qui aurait permis d’éviter la catastrophe. Seul coupable.

Alors on me dira, que ce que je considère comme une grave régression était nécessaire. Pour obliger les élus locaux à être plus vertueux, plus compétents, plus prudents. Il fallait faire un exemple. Or l’on sait bien, qu’une justice pour l’exemple n’est jamais exemplaire.

Régis de Castelnau

Laisser un commentaire