Grèce : devenir Alexis Tsipras.

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Celui qui est désigné doit marcher.

C’est comme le paludisme, une drôle de maladie. On peut l’attraper jeune, la soigner et penser que l’on est guéri. Plus tard constater qu’il y a des rechutes. Georges Bernard Shaw nous a expliqué que si on ne l’avait pas à vingt ans c’est qu’on n’avait pas de cœur, mais toujours à quarante c’est qu’on n’avait pas de tête. Il est gentil Shaw mais le virus, lorsque la tête a pris le dessus, que la fièvre est tombée, il peut sommeiller longtemps dans les tripes. Et se réveiller quand on ne s’y attend pas.

On peut avoir partagé en son temps ce qui fut la grande passion du vingtième siècle. Assisté au dévoilement du mensonge, à l’obscurcissement de l’horizon, et à la disparition de l’espérance. Voir passer l’ennemi d’hier avec une tête de vainqueur. Se résigner au verdict de l’Histoire. En bon juriste respecter l’autorité de la chose jugée. En devenant raisonnable, en renonçant à la fraternité de l’action et en s’attendrissant sur les grandes émotions qu’on a connues. Parce qu’il faut accepter « la fin de l’Homme Rouge ». En se disant pour se consoler, parfois sans trop y croire, que le panache a permis de réussir ses échecs.

Et c’est comme cela que la vie se déroule. Qu’on assiste en spectateur à la crise financière, à celle de l’euro, constatant l’inanité des promesses et des prévisions de tous ceux qui nous avaient juré « le bonheur dans vingt ans ». En évitant les emportements inutiles lorsque l’on entend le mainstream nier l’évidence de cette Europe en crise. Voir en 2012, désabusé, dans son propre pays, un ectoplasme politique succéder à un parvenu excité pour dire la même chose et surtout faire la même chose, peut-être en pire. Il n’y aurait pas d’alternative ?

Petit coup de tonnerre dans le ciel grec de février, avec l’arrivée, surprenante, de Syriza au pouvoir. Tsipras, Varoufakis, tiens, qui sont ces gens? Un salut amusé et retournons à notre routine.

Et un beau jour, la petite bestiole dans les tripes qui se réveille. Il y a la Grèce d’abord. » La Grèce que l’UE martyrise pour que les Italiens entendent ses cris. »(1) Or la Grèce, c’est ma mère. Mon père c’est Rome. Cet empire gréco-romain où la Grèce inventait la culture et Rome le politique et dont nous sommes tous issus. On dit des gens qui comme moi ont étudié le latin et le grec ancien, qu’ils ont fait « leurs humanités ». Ce n’est pas par hasard.

Le déferlement de la haine ensuite. Celle de tous ces gens qu’on déteste. Les imposteurs, et les petits valets. De Bhl à Apathie, de Colombani aux Gracques en passant par les économistes appointés, ceux qui expliquent tout et ne prévoient rien. Affichant cette haine de caste avec sa gueule de raie.

Et puis enfin il y a aussi le surgissement du peuple grec sur la scène. Et voilà qui change tout.

Brusquement on a plus envie d’être raisonnable. On veut chanter avec lui dans la nuit tiède de Pláka, s’arsouiller au Retsina pour fêter le retour de la fraternité. En levant la tête pour contempler le Parthénon illuminé qui veille sur nous. Parce qu’il semble bien que l’on assiste aux prémices d’un tremblement d’histoire. Lorsque que des événements que l’on pouvait penser secondaires, expriment soudain la totalité de la contradiction. Celle qui travaille et mine notre Europe. Cela s’appelle une situation révolutionnaire. Avec un débat simple désormais, entre deux camps. Et avec cette nouveauté, que les raisonnables honnêtes ont rejoint le camp de ceux qui veulent aider le peuple grec et refusent de le jeter dans le précipice.

Comprenons-nous bien, je ne sais absolument pas ce qui va en sortir. Du bon ou du mauvais. Peut-être la crise va-t-elle se poursuivre encore longtemps. L’histoire est un système imprévisible et on peut penser avec Hegel que c’est un procès sans finalité. Mais avec des sujets comme l’esprit, le peuple, les grands hommes.

Et sur ce dernier point il est peut-être en train de se passer quelque chose. Et si Alexis Tsipras était l’homme du Dieu Kairos, l’homme de la circonstance?

Voilà un jeune bellâtre au poil noir. Né cinq jours après l’effondrement du régime des colonels dans son pays qui surgit à 30 ans dans un champ politique aussi usé médiocre et corrompu que celui de la France. Dont on ne sait pas grand-chose, mais qui présente déjà une qualité. Être la cible d’un déferlement d’injures des petits Marquis, dont la vulgarité fébrile témoigne de la crainte qu’il inspire. Il vient ensuite de mener pendant cinq mois une négociation très difficile montrant une capacité politique étonnante. Pour maintenant demander à son peuple de revalider son mandat, en indiquant que s’il est désavoué, il quittera le pouvoir. Cela me rappelle de vieux souvenirs. Certains ont parlé de « moment gaullien ». Bien évidemment pas pour comparer, mais comme exemple.

Et justement, je voudrais me permettre de m’adresser à lui à partir de ce précédent.

Charles de Gaulle, disait « qu’un destin c’est la rencontre des circonstances et d’un grand caractère ». Il en savait quelque chose. « A quarante-neuf ans, j’entrais dans l’aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries » écrivit-il plus tard à propos du 18 juin, avant d’ajouter « j’étais comme un homme seul devant un océan qu’il prétendait traverser à la nage ».

Sans la connaître, il avait probablement fait sienne la phrase de l’aveugle de Buenos Aires, Jorge Luis Borges : « le destin d’un homme aussi long et compliqué soit-il, se résume en fait au jour où il apprend définitivement qui il est ». Le 18 juin 1940, le général de brigade sut définitivement qu’il devait devenir de Gaulle. Le chemin jusqu’à la descente des Champs-Élysées du 24 août 1944 fut difficile. Il le qualifia lui-même « d’épouvantable ».

Le tien sera lui aussi très ardu, le combat exténuant, et les adversaires sans merci. La situation qui vient de se créer peut déboucher sur tant de choses. Combien serait compréhensible l’envie de reculer, de céder, voire de se retirer. Ce n’est probablement plus possible. À défaut du bonheur, l’espoir peut redevenir une idée neuve d’abord en Grèce, ensuite en Europe. Et parce que cela marche comme ça, cela repose désormais sur tes épaules.

Charles Péguy ne te laisse pas trop le choix : «Celui qui est désigné doit marcher. Celui qui est appelé doit répondre. C’est la loi, c’est la règle, c’est le niveau des vies héroïques, c’est le niveau des vies de sainteté. »

Je crois que c’est ton tour mon garçon.

Va fils, on te regarde. Il te faut maintenant devenir Alexis Tsipras. Et rappelle-toi que la cause que l’on défend vaut moins que l’honneur qu’on met à le faire.

Et ne t’inquiète pas pour moi. Si je perds encore cette fois, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude.

(1) formule d’un grand patron allemand rapportée par Charles Gave

 

 

 

Régis de Castelnau

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