Christiane Taubira, ni de gauche ni de gauche.

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Réponse à Jérôme Leroy.

Jérôme Leroy est un bon camarade. Au-delà des connivences politiques et des nostalgies communes, nous avons des sensibilités voisines sur plein de sujets. Mais je suis quand même dérouté par la façon assez irrationnelle qu’il a de s’enticher de certains personnages. Lorsque cela arrive, toute tentative de lui démontrer que les objets de ses passions brusques ne les méritent en aucun cas, est vouée à l’échec. Lui dire qu’Alain Juppé, son champion pour 2017, est une caricature d’apparatchik froid, néolibéral thatchérien acharné, atlantiste et européiste, vous attirera la réponse suivante : « Oui, mais il a fait normale Sup ». La réplique « Comme Fabius, BHL et Christophe Barbier alors ? », glissera sur lui comme l’eau sur les ailes d’un canard.

Donc il veut qu’Alain Juppé soit Président de la République. Et pour reconstruire la gauche, devinez qui ? Christiane Taubira. Qui devrait être aussi candidate l’année prochaine en rassemblant autour d’elle un agglomérat confus qui serait l’embryon et le ferment de la création d’un Syriza à la française. Les sourires font place à une franche rigolade, mais attention, je crois que Jérôme est très sérieux.

D’abord, il raffole des provocations calculées de Taubira qui provoquent la rage pavlovienne de l’extrême droite la plus suspecte. Il n’a pas tort, même si la comparaison avec Salengro est un peu limite. Tout le comportement de la ministre de la Justice n’est destiné qu’à provoquer cette rage stupide et construire ainsi l’image usurpée d’une grande conscience de gauche. Parce que justement Christiane Taubira n’est pas de gauche. Toute sa carrière politique, désormais assez longue , démontre que nous avons affaire à une politicienne classique qui n’a rien de l’icône qu’elle prétend être. Jérôme a raison sur le lointain passé « d’indépendantiste » et sur l’accusation de promouvoir une « justice laxiste », reproches totalement infondés. La justice française souffre surtout d’un criant manque de moyens, et de toute façon Christiane Taubira se désintéresse complètement de la gestion de son ministère.

Mais pour les idées politiques, il y a quand même quelques signes qui ne trompent pas. La confiance à Balladur Premier ministre, le compagnonnage politique jamais démenti avec Bernard Tapie, la candidature de 2002 destinée à gêner Jospin, et en bonus son programme électoral, tout cela ne nous installe quand même pas entre Mélenchon et Besancenot.

Et puis, il y a deux domaines où les marqueurs de gauche fonctionnent. Les libertés publiques et le social. Sur le premier, Christiane Taubira y fait preuve d’une duplicité impardonnable, sur le second, d’une absence totale et d’un silence édifiant. Sur le sociétal en revanche, elle déverse force discours ampoulés et tweets de mirliton boursouflés, mais ceci ne compense pas cela.

Les libertés publiques d’abord. Depuis l’affaire Dreyfus, la gauche se considérait comme traditionnellement très attachée aux libertés publiques, et je dois dire que dans ma pratique, j’ai pu en vérifier le bien-fondé. Malheureusement, depuis le 6 mai 2012 cette culture a disparu. Des coups sévères ont été portés à nombre de libertés fondamentales, et Christiane Taubira les a docilement acceptés quand elle n’y a pas prêté la main. On ne s’attardera pas sur les atteintes à la liberté d’expression, mais on rappellera l’incroyable manipulation permettant la condamnation de la candidate du Front national en Guyane. Violations de tous les principes du code pénal, auxquelles il est vraisemblable que la garde des sceaux ait participé. L’expression du racisme doit être combattue, mais de préférence en évitant de faire n’importe quoi. Il y a ensuite la validation de toutes les horreurs des procédures concernant de près ou de loin Nicolas Sarkozy, et aboutissant à la destruction définitive du secret professionnel des avocats. Chacun se rappelle la conférence de presse où la ministre brandissait les documents qui établissaient qu’elle mentait effrontément. Il y a eu ensuite le silence au moment de l’élaboration et de l’adoption de la « loi renseignement » dangereusement liberticide selon tous les avis.

Concernant la déchéance de nationalité, à laquelle elle se dit opposée, non seulement Christiane Taubira ne démissionnera pas, mais elle a accepté d’en être le rapporteur au parlement ! Ce qui démontre le caractère factice de cette opposition et confirme l’habitude des postures, et l’absence de réflexe de gauche. Il en sera de même avec la loi de réforme pénale qu’on nous annonce, dont l’objectif avéré, excusez du peu, est de pérenniser les mesures d’exception de l’état d’urgence dans le droit commun. En retirant au juge du siège pour les confier au parquet toute une série d’atteintes aux libertés de la personne. Ce passage du provisoire au permanent ne lui a, jusqu’à présent, arraché aucune remarque. Quant à une démission…

Le social maintenant. Jérôme Leroy appelant de ses vœux cette candidature à la présidentielle, nous décrit, lyrique, ce que serait son électorat : «Tous ces électeurs bobos et ouvriers, des Verts au PCF en passant par le PG ou les Alternatifs. » Des électeurs ouvriers ? Elle sait que cela existe, les ouvriers ? Depuis son arrivée au gouvernement, dans ses nombreux discours, articles, intervention et tweets, je ne sais même pas si elle a simplement employé une fois le mot « social ». À la suite des incidents d’Air France, après que Manuel Valls s’est précipité chez le patron pour lui confirmer sa soumission, puis ait réitéré cette allégeance en Arabie Saoudite (?), le parquet a organisé toutes affaires cessantes, un raid qui a vu les arrestations des syndicalistes au petit matin, les perquisitions à grand spectacle, les gardes à vue prolongées, avant le renvoi en correctionnelle. Histoire de punir les représentants des salariés qui s’étaient énervés à l’annonce brutale du licenciement de deux mille d’entre eux ! Prétendre que cette opération médiatisée ait pu se faire dans ces conditions, sans un ordre du premier ministre relayé par Christiane Taubira, et que cela puisse être une initiative du parquet lui-même serait se foutre du monde. Celui-ci obéit constitutionnellement aux ordres de son ministre qui s’appelle Christiane Taubira. Et que l’on ne vienne pas me dire que la nouvelle rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale interdisant les instructions individuelles l’empêchait d’intervenir. 43 ans de pratique professionnelle m’ont permis de bien connaître les usages…

Et d’ailleurs les syndicalistes d’Air France savent à quoi s’attendre. Car c’est le même parquet, qui a requis et obtenu des peines de prison ferme à l’encontre des salariés de Goodyear. Chose intéressante, les syndicats ont lancé une pétition en faveur des salariés poursuivis. Comme par hasard elle s’adresse au Président de la République, au Premier Ministre et à Emmanuel Macron… Dont on peut se demander ce qu’il fait là. De Ministre de la Justice Garde des Sceaux, il n’est pas fait état. À mon avis à raison, le silence persistant de la ministre démontre qu’il n’y a rien à en attendre.

Alors, mon cher Jérôme, retenter en 2017, le coup d’Eva Joly en 2012, je préférerais qu’on évite. Le résultat serait le même. Parce qu’il faut se rendre à l’évidence, Christiane Taubira n’est peut-être pas de droite, mais elle n’est pas de gauche non plus, faut pas déconner

Régis de Castelnau

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