Attentats: en finir avec le grand-guignol judiciaire

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Même Abdeslam a droit à une défense de qualité.

L’arrestation d’Abdeslam dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles a permis de constater que sa cavale avait été particulièrement longue puisqu’en quatre mois il avait parcouru 400 m… Démonstration s’il en était besoin, qu’à Molenbeek, les djihadistes sont comme poissons dans l’eau. Les attentats de l’aéroport et du métro de Bruxelles montrent aussi que l’on serait peut-être bien avisé de parler de guérilla plutôt que de terrorisme. Et pour traiter ce qui constitue des opérations de guerre planifiées, on peut se poser la question de savoir si l’utilisation des méthodes judiciaires classiques est la bonne solution.

C’est toute l’ambiguïté de la phase que nous traversons, où le recours à l’état d’urgence se justifie, mais pour une période déterminée et avec des objectifs clairs. Nos gouvernants – et en particulier le Premier ministre – semblent plus préoccupés de pérenniser dans le droit commun les mesures d’exception de l’état d’urgence. Personnellement réservé sur l’abandon du traitement judiciaire au profit du traitement administratif, je ne peux qu’être consterné par la façon dont la société du spectacle met en scène les procédures : le couple infernal média/justice transforme ce qui devrait quand même être empreint d’une certaine solennité, en pitreries, dont les interventions grotesques de l’avocat d’Abdeslam sont l’illustration.

Des médias complices

Les médias se précipitent avec gourmandise sur un imposteur dont il est évident qu’il n’a pas le moindre souci de l’intérêt de son client. Tenues soigneusement choisies pour faire baroudeur, crâne rasé qui permet aux Marie-Chantal des chaînes d’info de se pâmer sur une soi-disant ressemblance avec Bruce Willis. Quant à ses prises de position, elles relèvent d’un mauvais guignol. « Refus d’extradition » alors que, mandat d’arrêt européen aidant, il ne s’agit pas d’une extradition, plainte stupide et radicalement irrecevable contre François Molins, le procureur de Paris, pour violation du secret de l’instruction.

Mais pourquoi se gêner alors que caméras et micros se précipitent, et que dépêches et tweets relaient en urgence. Les ignares parleront doctement de « défense de rupture », alors que tout cela ne sert qu’à faire de la mousse et d’avoir son quart d’heure de célébrité warholien. La responsabilité des médias est lourdement engagée dans la mise en scène de ces comédies qui aboutit à la délégitimation du rôle et de la présence de l’avocat dans les procédures judiciaires.

En France, on a du mal à se débarrasser de l’image de l’avocat complice et on a souvent tendance à considérer pour les cas les plus graves — terrorisme ou pédophilie — que la défense est un luxe dont ces prévenus-là devraient être privés. Et ce ne sont pas les bateleurs d’estrades aux performances médiatiques inversement proportionnelles à celles du prétoire, qui vont leur faire changer d’avis.

Assurer le spectacle paye parfois…

Le pire est que la société du spectacle permet d’obtenir des résultats même quand on a piteusement échoué dans l’espace judiciaire. Omar le jardinier avait été condamné sur la base d’un dossier accablant, par la suite Jacques Vergès avait habilement réussi à le faire passer pour un innocent, lui permettant ainsi d’obtenir une grâce partielle. Le conseil de Jérôme Kerviel n’avait pas ébloui grand monde à la barre, ses prestations médiatiques ont fait de son client le héros de la gauche de la gauche. Plus récemment encore Jacqueline Sauvage a obtenu une grâce présidentielle ainsi commentée par Pascale Robert-Diard dans le Monde : « Le dénouement de cette affaire offre à cet égard une singulière inversion des rôles. Deux avocates, habiles communicantes, transforment le cinglant échec judiciaire qu’elles ont essuyé pour leur cliente devant une cour d’assises en bruyante cause médiatique. Et un président de la République use de son pouvoir pour donner à une accusée l’avocat efficace qu’elle n’a pas eu dans le prétoire ».

Tout ceci contribue à l’affaiblissement du principe même de l’indispensable défense. Il faut répéter qu’il ne peut pas y avoir de décision de justice légitime si le condamné qui va subir la violence de l’État, légitime elle aussi, n’a pas bénéficié d’une défense digne de ce nom. Et il ne faut pas être surpris de voir comment depuis quelques années les prérogatives de la défense ont été réduites comme peau de chagrin, l’exemple le plus grave étant l’anéantissement du secret professionnel.

Il faut espérer qu’à son arrivée prochaine en France, Salah Abdeslam bénéficie d’une défense digne de ce nom. C’est d’abord, qu’on le veuille ou non, l’intérêt de la société, avant même celui d’Abdeslam. En se rappelant que dans une démocratie, l’avocat défend l’homme, pas le crime.

Régis de Castelnau

3 Commentaires

  1. Merci pour cet article qui met en lumière ce que le sociologue canadien d’origine Erving Goffman dénommait « La Mise en scène de la vie quotidienne » qu’il publia en 1959.
    En qualité fiscaliste belge, à la place du fisc belge je m’interrogerais sur les ressources de la famille Abdeslam qui parait-il paie l’avocat Sven Mary.
    Le « testament » d’El Bakraoui découvert dans son ordi découvert dans les poubelles du quartier où le taximan l’a pris en charge, démontre qu’il était « ‘à bout’ traqué de partout, qu’il n’en pouvait plus, etc. » et que c’est donc un geste ‘désespéré’ qui l’a conduit à précipiter l’attaque à la bombe d’une autre facture que celles utilisées à Paris (à Bruxelles : TATP, eau oxygénée et acétone, système extrêmement instable).
    La plus grosse charge avait d’ailleurs été abandonnée et explosé spontanément.
    À Paris, c’était murement planifié. Bruxelles, l’attentat fut certes planifié, mais pour plus tard que le 22 mars (tiens ! la fête des nanars !) et fut précipité vu l’impossibilité pour les djiadistes d’atteindre plus de victimes qu’à Paris.
    Il n’en reste pas moins que la stratégie judiciaire de la défense n’est que pétard mouillé. La ‘stupide’ (ou intelligente, si l’on se place du côté des intérêts financiers et de mise en évidence de l’avocat de la défense) stratégie, bien mise en évidence dans l’article, ne fera que retarder le transfert du Français S. Abdeslam. Son sort sera tôt ou tard réglé en France.

  2. Je suis désolé… il est absolument inconcevable pour moi qu’il n’existe pas pour les individus tels qu’Abdeslam (qui est encore appelé par certains médias « terroriste présumé ») un statut spécial qui le prive d’une partie plus importante de ses droits que celle dont sont généralement privés les criminels « normaux »… le cas d’Abdeslam ne devrait pas relever du judiciaire mais de la défense… Abdeslam devrait être immédiatement mis à la disposition de l’armée et traité comme un soldat ennemi possédant des informations cruciales… je ne comprend pas comment nous ne pouvons pas considérer que dans le cas d’Abdeslam la torture dans un cadre militaire est légitime et aurait pu permettre de sauver des vies…

  3. @ Abdelk,

    Justement, accorder aux terroristes un statut de « soldat ennemi » – de prisonnier de guerre, en fait – les ferait relever des conventions de Genève, qui proscrivent la torture. Si vous voulez torturer des gens, il ne faut absolument pas que le statut juridique que vous leur accordez ait un lien quelconque avec la guerre, qui est un domaine réglementé (il y a un droit de la guerre).

    Il vaut mieux rester dans le vague et considérer que le terroriste est une non-personne, un peu comme un juif dans un camp d’extermination.

    Vous avez donc deux obstacle éthiques:

    – Le premier découle naturellement de la difficulté à légitimer un acte sadique et pervers contre une personne humaine. C’est obstacle n’est matériellement pas insurmontable: il suffit juste de trouver des tortionnaires sadiques et pervers.

    – Le second réside dans le fait que, pour légitimer la torture, vous allez devoir dépouiller la personne torturée de sa personnalité humaine, en renouant ainsi avec des systèmes de pensée auxquels j’ai fait référence plus haut et qui feront de vous un être humain au moins aussi nuisible qu’un terroriste.

    Or, le principe en matière de lutte contre la criminalité est qu’il ne faut pas que l’acte de protection de la société crée un plus grande trouble à l’ordre public que l’acte criminel qu’on veut réprimer. Sinon, la société n’y gagne pas grand-chose.

    En outre, autoriser la torture d’un terroriste par un militaire ou un policier oblige à constituer, en marge de la loi, des sections spéciales, clandestines, opérant de préférence ailleurs que sur le territoire national, ce qui complique l’insertion des aveux ainsi obtenus dans le cours d’une procédure régulière.

    En somme, on pourrait peut-être obtenir des aveux, mais ils n’auront qu’un intérêt opérationnel et ne pourront valablement être utilisés comme preuve dans le cadre d’un procès. Pire, si le tribunal apprend qu’un acte d’enquête trouve sa source dans un renseignement obtenu par la torture, il pourrait être tenté d’annuler la procédure subséquente.

    La conséquence est simple: une fois que vous avez torturé la personne, vous devez l’éliminer, pour préserver la régularité de l’enquête.

    Ce qui nous fait donc un troisième obstacle éthique: la torture a d’abord fait de vous un sadique pervers, puis un nazi, et maintenant, vous voilà assassin.

    Et, vous allez rire, mais l’élimination de la personne torturée n’est pas totalement dépourvue d’incidence sur l’action publique: en effet, en droit français, la mort de l’auteur des faits entraine l’extinction de l’action publique. Autrement dit, au moment où vous presserez la queue de détente du pistolet que vous avez collé sur la tempe du terroriste, vous mettrez fin, ipso facto, aux poursuites engagées contre lui, donc éventuellement à la totalité de l’enquête si c’est un personnage clé.

    C’est idiot, mais le droit français, rompant avec la magie noire, se refuse à poursuivre et juger les morts.

    D’un autre côté, on se rend compte qu’en pratique on obtient des renseignements très fiables sans torture et que ces renseignements, moyennant le respect de certaines formes juridiques, peuvent être régulièrement insérés dans une procédure judiciaire pour faire preuve d’une accusation. On parvient ainsi à ce qu’on appelle la justice sans avoir besoin de maltraiter les gens ou de se damner. C’est pourquoi on a, avec le temps, conçu l’idée que la torture, dans le fond, était superfétatoire.

    Après tout, n’oublions pas que ce sont les terroristes qui perdent leur innocence, pas nous.

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