Alain Juppé, l’homme qui ne comprenait rien

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Il n’est pas de très bon ton de tirer sur les corbillards, ou de frapper un homme à terre. La défaite d’Alain Juppé mérite quand même quelques commentaires, ne serait-ce que pour souligner l’aveuglement du système médiatique qui a cru dur comme fer pouvoir, encore une fois, nous faire prendre les vessies pour des lanternes. Je n’ai jamais cru à la possibilité de victoire à la primaire de la droite du « meilleur d’entre nous », vieux cheval politique fourbu rhabillé en « rassembleur » et présenté contre toute logique comme le sauveur de la nation capable de la protéger du retour de Sarkozy.
Alain Juppé, quant à lui et comme d’habitude a commis toutes les erreurs, les unes après les autres, la dernière étant d’avoir déclenché entre les deux tours la diabolisation de son nouvel adversaire. Espérant ainsi mobiliser les électeurs de gauche pour empêcher la victoire du nouveau Pétain des heures-les-plus-sombres. Et de nouveau, mauvaise pioche, puisque cela a provoqué l’inverse et lui a fourni une nouvelle défaite humiliante pour sa collection.

Fiascos en série

Parce que le maire de Bordeaux en a subi des échecs. Tout bardé de diplômes qu’il est, dauphin cajolé de Jacques Chirac, bénéficiant de toutes les facilités et de toutes les opportunités, il affiche pourtant un passif impressionnant. Il n’est pas nécessaire d’en dresser la liste, mais simplement de s’interroger sur ce mécanisme intellectuel qui l’a amené à être tant de fois à côté de la plaque. Pénétré d’une supériorité intellectuelle qu’il s’auto-attribue, il considère que places et honneurs lui sont dus, alors que dans la vraie vie, cela ne fonctionne pas comme ça. Dernier exemple, avoir cru que son incontestable supériorité lui promettait la succession de François Hollande, et lui valait la flagornerie justifiée du système médiatique. Le retour de la droite étant inévitable, Juppé n’a pourtant dû cet engouement des médias qu’à la nécessité de trouver une alternative à Sarkozy pour sauver les meubles de la caste. Faute de monde sur les catalogues, un vieux cheval de retour au casier chargé a fait l’affaire, jusqu’au moment où la bourgeoisie de droite s’en est trouvé un autre plus présentable.

Le « meilleur d’entre nous » a affiché son incompréhension affligée au soir du premier tour de la primaire, refusant l’évidence par sa décision de se maintenir alors même que son score l’aurait mis à la troisième place sans l’apport frauduleux des voix de gauche. De surcroît, la rouste était assurée au second tour. Qu’à cela ne tienne, on y va tête baissée, campagne quasi-gauchiste entre les deux tours, mobilisation à son profit de la presse de gauche, et évidemment mobilisation concomitante des gens de droite furieux pour une nouvelle gifle au chantre de l’identité heureuse. Et toujours cette surprise douloureuse, comment peut-on infliger cela au « meilleur » ? C’est en fait très simple, toute la carrière d’Alain Juppé le démontre : l’actuel maire de Bordeaux ne comprend rien.

Un chiraquien très modéré

En 1993 par exemple, où après les années 80 de folie, la corruption étant le financeur de la vie politique, et où Alain Juppé adjoint aux finances de la Ville de Paris, était à la manœuvre, la loi de 1990 était venue mettre le holà. Et tout le monde avait compris qu’il fallait donc changer les habitudes, et être désormais prudent à la fois dans les rapports avec les entreprises et dans les dépenses électorales. Mais pas Alain Juppé. Les législatives prévoyaient une considérable vague bleue et dans sa circonscription parisienne confortable, il était tranquille. Cela ne l’a pas empêché de passer un accord à un prix plus qu’amical avec le groupe Decaux gros fournisseur de la ville pour une campagne d’affichage promotionnel « à prix d’ami » de son livre La tentation de Venise. La vraie dépense aurait dû être calculée, réintégrée dans son compte de campagne, l’élection annulée et Juppé déclaré inéligible pour un an, sans compter la dimension pénale assez évidente. Il bénéficia cependant de la part du conseil constitutionnel présidé par Roland Dumas d’une mansuétude assez surprenante. Qu’il considéra comme tout à fait normale…

Par la suite, début 1995, au moment où les courbes des sondages commençaient à s’inverser, il pensa abandonner Jacques Chirac et rallier Édouard Balladur en négociant son poste ministériel. Rattrapé à temps, il se retrouva du bon côté au moment de l’élection et bénéficia une fois de plus de l’affection peu rancunière de Jacques Chirac qui le nomma Premier ministre en lieu et place du vrai vainqueur Philippe Séguin. Parce qu’il était le meilleur, bien sûr. Résultat : Juppé abandonna immédiatement la ligne de la fracture sociale sur laquelle Chirac avait été élu et concocta sans aucune concertation une réforme technocratique des retraites qu’il vint présenter sous les ovations devant l’Assemblée nationale introuvable de 1993. Et Juppé de s’étonner d’être ensuite confronté à un des mouvements sociaux de masse les plus importants de l’après-guerre.

Il avait aussi trouvé entre-temps le moyen de se mettre dans une situation impossible avec l’histoire des attributions des logements du domaine privé de la Ville de Paris. En position incontestable de prise illégale d’intérêts, il signait en tant que bailleur des baux de location pour lui-même et sa famille à des prix avantageux. Mélange des genres, interdit depuis toujours et sévèrement réprimé par le code pénal, cela lui apparaissait pourtant comme parfaitement normal. Face aux froncements de sourcils appuyés du parquet de Paris, qui préféra cependant avec mansuétude encore, un déménagement précipité du premier ministre qui venait d’arriver, plutôt qu’un passage devant le juge, il opposa urbi et orbi avec une inconscience désarmante, son fameux « droit dans ses bottes ». Comme on peut s’en douter cela fit grand plaisir aux magistrats de l’entendre, s’affirmer convaincu d’avoir subi une injustice lui qui avait commis plusieurs infractions et bénéficié d’une incontestable bienveillance. Ils sauraient s’en souvenir.

 Ses méthodes de gestion à base d’autoritarisme hautain commencèrent à lui poser quelques problèmes politiques dans sa majorité pourtant pléthorique. La goujaterie du licenciement collectif des jupettes et la brutalité de celui d’Alain Madelin entre autres, commençaient à faire grincer. Qu’à cela ne tienne, le « meilleur » ne pouvant qu’être populaire n’est-ce pas, se laissa facilement convaincre par les mêmes sondeurs qui avaient annoncé le triomphe de Balladur, et pensa par la dissolution de 1997 récupérer une Assemblée nationale au garde-à-vous. On connaît la suite, le premier tour catastrophique, l’éjection en urgence au profit de l’ennemi juré Philippe Séguin entre les deux tours, et le cadeau fait à Chirac d’une cohabitation de cinq ans.

Ignorance des règles de la justice

On ne reviendra pas en détail sur ses ennuis judiciaires postérieurs proprement dits si ce n’est pour rappeler l’inanité de la légende du fusible, Alain Juppé ayant été condamné pour ses propres errements. Et l’attitude arrogante et méprisante qu’il eut l’inconscience d’adopter tant vis-à-vis des magistrats que de ses collaborateurs embarqués à cause de lui sur ce mauvais navire. Une fois de plus, Alain Juppé ne s’était pas intéressé aux règles applicables en matière judiciaire, persuadé que sa supériorité intellectuelle le mettait à l’abri. Je me rappelle cette conversation avec un de ses proches me faisant part de son incompréhension après la condamnation prononcée à Nanterre par une présidente pourtant catholique et dame catéchiste ! Comment pouvait-on être catholique et condamner Alain Juppé !

Il y aura ensuite après son retour dans le fauteuil bordelais imperdable de Jacques Chaban-Delmas, la piteuse défaite législative en pleine vague bleue de 2007, et celle non moins piteuse sur Bordeaux de sa protégée Virginie Calmels aux régionales de 2015. Il est probable que son intronisation médiatique pour être le président de la République en 2017 lui est apparue comme légitime et normale. Il était le meilleur, et l’on a vite vu revenir l’arrogance cassante à base de : « je les emmerde » « si les Français ne veulent pas de moi ils se démerderont avec les retraites » et autres gracieusetés.

Le voilà reparti désormais dans sa bonne ville de Bordeaux. Son speech de sortie montre qu’il est probable qu’il n’ait toujours pas compris ce qui lui était arrivé.

Régis de Castelnau

4 Commentaires

  1. Dois-je vous faire lire au maire de notre bonne ville de Chalons en Champagne ?
    Merci pour cette analyse .

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