Non mais tu entends ce silence ?

Pour changer des vitupérations à propos de la campagne des présidentielles, et pour se reposer un peu, parlons musique. Avec un petit article qui prouve que le matérialisme méthodologique, peut parfois avoir des ratés.

Lorsque j’avais autour de huit ans, il y avait à la maison le disque de la chanson de Boris Vian « j’suis snob » suivie d’un sketch où celui-ci moquait les amateurs de jazz et leurs superlatifs à l’écoute d’un morceau de jazz. Je me souviens de celui accompagné tout au long de commentaires boursouflés, ponctué à la fin par la phrase qui me faisait beaucoup rire : « Non mais tu entends ce silence? Formidable ! » On ne disait pas encore génial à tort et à travers.

Ayant commencé avec Boris Vian, on va continuer avec Leibniz et son ami Michel Fichant. Les amis de mes amis sont mes amis, mais Leibniz m’intimide, et je ne vais sûrement pas prendre le risque de dire n’importe quoi comme Macron sur France Culture à son sujet. Et je vais donc m’abriter derrière son intimité avec Michel. Je ne sais pas exactement quand, comment et pourquoi Leibniz a dit : «La musique est le secret exercice mathématique de l’âme ». Interrogé à ce sujet Michel Fichant m’a répondu : «Leibniz n’a, sauf découverte à faire, rien su de Bach. Nous avons une base informatique répertoriant tous les noms de personnes citées par Leibniz dans tous les textes connus, y compris les correspondances, et Bach n’y figure pas ». Je ne suis pas convaincu, car je pense que même s’il n’a pas connu Bach et sa musique c’est bien à lui qu’il pensait avec cette phrase…

 

Jean-Sébastien Bach, le grand témoin, le maître de l’harmonie, de l’écriture fuguée et du contrepoint. N’ayant aucune compétence pour le faire, je n’écrirai pas ici une biographie du Cantor, simplement je rappellerai le caractère colossal de son œuvre et une caractéristique peu connue, sa passion pour les chiffres et la numérologie. Sa dernière œuvre fut entamée en 1742 et terminée en 1750, année de sa mort. « L’art de la fugue » où l’absence d’indication de tempo ou d’instrumentation permet de considérer que c’était une œuvre « pour les yeux », un monument mathématique et théorique, probablement pas destiné à être joué. Dans lequel Bach démontre et dit qu’il a compris et fini son travail. Et que c’est pour cela qu’il s’en va. Pour aller où ?

Et pour bien signifier aux hommes qu’ils devront se débrouiller sans lui, alors que l’ouvrage initial devait comporter XX fugues, la XIXe , la «fuga a tre soggetti »  s’arrête brusquement à la mesure 239 juste après l’arrivée du troisième sujet, en forme de signature pour la première fois dans l’ensemble de l’œuvre du Cantor : B.A.C.H. (Sib, la, do, si).

  • Dis donc, tout ce que tu racontes là est quand même discuté, voire contesté.
  • N’importe quoi ! C’est la seule lecture possible. Seule la légende est plausible.

Lorsque j’ai connu Glenn Gould, j’avais déjà rencontré Bach un des hommes de ma vie. Sans aller aussi loin que Bruno Monsaingeon, qui lui a consacré livres et films, et qui disait que la rencontre avec Gould était de l’ordre de la révélation, j’ai été fasciné par ce personnage extraordinaire. Pianiste de génie, concertiste adulé, intellectuel de très haute volée, au comportement personnel souvent étrange, il entretenait une relation très particulière avec Bach.

Encore jeune, il avait dit qu’il arrêterait les concerts à 30 ans et la musique à 50. Il a joué son dernier concert à 31 ans, et il est mort le jour de son 50e anniversaire.

Qui d’autre que lui pour jouer cette dernière fugue.

À 12’12’’quand la main de Gould se fige.

  • « Non mais tu entends ce silence ?
  • Oui, vertigineux. Vertigineux et bouleversant. »

 

 

Régis de Castelnau

4 Commentaires

  1. Merci de nous donner une bouffée d air frais. On respire mieux après vous avoir lu.
    G. G. Nous fait voyager dans une autre dimension.

  2. A lire aussi l’excellente somme (car je ne vois pas d’autre mot pour qualifier cet ouvrage) « Musique au château du ciel. Un portrait de Jean-Sébastien Bach » par John Eliot Gardiner

  3. Glen Gould : j’ai véritablement usé mon cd : les variations Goldberg ….Quand à Bach …..les premières émotions musicales .
    Merci pour cet article

  4. Merci cher Régis ! Figurez-vous que je vous ai connu grâce à votre patronyme : De Castelnau… Etant originaire de Montpellier, je fus intrigué, et voilà… Bref, je vous suis, et suis émerveillé par vos analyses pertinentes…. Etant musicien professionnel, je ne peux que souscrire à votre blog sur Bach… Très belle analyse , merci ! J’ai partagé vos excellents propos sur « l’idiot » de service : Poutou sur ma page Facebook : philippe.lesburgueres. Bien à vous !

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