Poutou : le rebelle dont la bourgeoisie raffole

Le lendemain du débat de mardi, les médias du mainstream  macroniste, service public et presse Drahi et Bergé en tête, multipliaient les spasmes de ravissement à propos de la prestation de Philippe Poutou. Relayé par le gauchisme mondain, s’esbaudissant sur la « performance » de Philippe Poutou et la saluant de sonores « bravo camarade ! Merci camarade ! » Pour avoir rejoint Benoît Hamon, dans la volonté de foutre l’immunité parlementaire par-dessus bord alors qu’elle est une conquête démocratique . Trop transgressif ! Pour avoir défendu l’UE. Trop internationaliste ! Pour avoir refusé d’être sur la photo de groupe. Trop rebelle ! Pour être venu ostensiblement en pyjama débraillé sur le plateau. Trop rigolo !

Mais la vraie raison est ailleurs, Philippe Poutou ayant soigneusement fait ce pourquoi, trotskiste folklorique, lui ou un autre, est présent à chaque élection présidentielle et disparaît entre-temps. Cette fois-ci c’était pour donner un coup de main à Macron. Et au passage, en bon révolutionnaire de pacotille inoffensif dont les bourgeois raffolent piquer des voix à Jean-Luc Mélenchon.

Revenons d’abord sur la séquence qui plonge les petits-bourgeois dans le ravissement. Regardant alors François Fillon et Marine Le Pen jusqu’à présent protégés par leur immunité parlementaire, non pas des poursuites, mais des mesures de coercition rêvées par les très impartiaux PNF et Pôle financier, Philippe Poutou a lancé : « lorsque je suis convoqué au commissariat je ne suis pas protégé par une immunité ouvrière ». Et les ignorants de s’esclaffer. Pour lui, ce n’est pas l’attitude de la juridiction d’exception acharnée à aider Macron, candidat de l’oligarchie, à être élu qui lui pose un problème, c’est l’existence de l’immunité parlementaire. Dites donc Monsieur Poutou si vous étiez député vous en bénéficieriez, et heureusement. L’immunité parlementaire, principe démocratique issue de la séparation des pouvoirs, existe pour que l’élu du peuple puisse exercer librement son mandat. À l’abri des pressions de l’exécutif et du judiciaire. Ce n’est pas un sauf-conduit pour pouvoir commettre des infractions, il n’empêche pas les poursuites, cette présentation est stupide. C’est l’Assemblée elle-même qui peut la lever. Mais avec Poutou, plus besoin d’élections et de mandat populaire, ce sont Eliane Houlette et Serge Tournaire qui doivent décider qui peut siéger. Lorsque les organisations ouvrières faisaient élire des députés, l’immunité parlementaire était un outil précieux qui les mettait à l’abri de l’arbitraire. Cette immunité est une conquête démocratique, qui est bien, une « immunité ouvrière » lorsqu’elle protège des « parlementaires ouvriers ». Et pour qui connaît l’histoire du mouvement social, ce qui n’est pas le cas de Philippe Poutou, cette disposition a été précieuse à plusieurs reprises.

Il y a ensuite l’amour partagé avec Nathalie Arthaud, de l’Union Européenne, euro-enthousiasme qui repose sur le postulat selon lequel le Capital européen a atteint son stade suprême d’intégration via l’UE et doit donc être combattu par le monde du travail à l’échelle européenne. Alors que c’est justement l’incapacité de l’UE à réguler la compétition entre les bourgeoisies européennes qui rend l’UE obsolète. Cet aveuglement pour un soi-disant marxiste de l’évidence selon laquelle c’est d’abord sur le terrain national qu’il faut combattre le capitalisme national est caractéristique d’une étonnante capacité à l’ineptie politique. Comme lorsque le même Poutou, se lançant dans la mécanique quantique, prétend qu’une musulmane peut être voilée et féministe, comme le chat de Schrödinger vivant et mort à la fois.

Et puis bien sûr, il y a eu la tenue et le refus d’être sur la photo de groupe. « Je suis ouvrier, alors je viens dans un dépenaillé cradingue, parce qu’un ouvrier c’est sale et mal habillé ». Et c’est là justement, qu’apparaît le plus clairement la manœuvre, véhiculer l’image d’un ouvrier comme la bourgeoisie les aime, caricatural et inoffensif. Il suffit de lire comment sa presse parle de Philippe Martinez le secrétaire général de la CGT, et comment elle encense Poutou.

Sur la question de la dignité dans la tenue, m’est revenu un souvenir cuisant. Jeune avocat, j’étais collaborateur chez le premier bâtonnier communiste de l’ordre des avocats. Au barreau de Bobigny, bien sûr, puisqu’il exerçait dans le neuf trois. Je me rappelle comment, il avait découpé l’article du Monde qui annonçait son élection pour l’envoyer fièrement à ses parents, ouvriers. Tous les samedis, j’enchaînais des permanences juridiques pour les habitants, en mairies d’Aulnay-sous-Bois, de Bobigny, et de Sevran,  toutes encore des communes ouvrières. J’apportais la bonne parole juridique à une soixantaine d’inscrits qui défilaient dans le petit bureau qu’on m’avait attribué. La première fois, considérant que le samedi on pouvait être un peu plus détendu, j’avais adopté ce qu’on appelle aujourd’hui le Friday wear. Blazer, chemise sans cravate.

Fatale erreur ! Le bâtonnier m’attendait pour me présenter au personnel municipal. Toute ma vie je me souviendrai de la mâchoire crispée à ma vue, et de ce que j’ai entendu : « Monsieur de Castelnau (en insistant sur la particule) vous êtes avocat, et c’est en tant qu’avocat que vous venez parler à ces gens, pour essayer de les aider. Et c’est à l’avocat qu’ils viennent se confier, pas à un copain. Vous êtes prié de venir habillé convenablement, je dirais « pimpant », ce sera votre façon de leur montrer que vous les respectez ». Rien que de me rappeler cette phrase j’ai encore les joues qui chauffent et les oreilles qui sifflent.

Alors Monsieur Poutou, les règles vestimentaires ont évolué vers un peu plus de détente et c’est tant mieux, mais lorsque l’on prétend représenter les ouvriers et être l’un d’entre eux on évite de se déguiser et de venir sur les plateaux en caleçon. Certes, cela fait glousser et frétiller bourgeois et petits-bourgeois, qui vous applaudissent mais c’est parce que vous apportez de l’eau au moulin de leur mépris social.

Tout cela n’est vraiment pas très honorable.

 

Régis de Castelnau

18 Commentaires

  1. Réflexion qui apporte de la hauteur à ce que l’on entend, par-ci, par-là. Poutou ne fait glousser que la gauche caviar! Pour tout dire, il était bien jeune pour connaître – par lui-même – ce que fut le Monde Ouvrier après guerre!

  2. Bonjour,

    je partage votre opinion quant au non-respect de l’immunité parlementaire. La tirade d’Arthaud sur les comptes que rendent les citoyens sur les aides que l’on leur donne était beaucoup plus à propos pour critiquer le manque « d’accountability » de nos élites… Le fait d’ailleurs que l’on ne trouve pas de mot français pour traduire ce terme anglais dit déjà énormément de choses sur notre société.

    Concernant l’accoutrement, et la posture de Poutou lors du débat, je ne partage pas vos opinions.

    L’image du respect, à mon sens, c’est aussi de montrer que l’on est humain, vivant, et pas simplement formaté. Formaté tant sur les codes de la communication politique, que sur les codes vestimentaires. Certes tous les hommes (sauf Mélanchon – qui twiste le code vestimentaire intelligemment avec son costume/blouse) étaient dans l’uniforme du costume gris ou bleu marine impeccables, léchés… Prêt à être le César, pardon Napoléon sauveur qu’attendent les Français d’une élection présidentielle.

    Cela fait du bien aussi de montrer par le contre-exemple que l’on peut sortir de ça. Cela offre un peu une respiration, de montrer que tout n’est pas millimétré par un conseiller comm. qui travaille dans la même boîte de consulting que celui de Macron… Et, en tant que Citoyen, je trouve que l’on me respecte plus en se moquant d’un code vestimentaire, pour montrer que le président n’est qu’un homme parmi tant d’autres. Quelque part, cela l’ancre plus dans la réalité que les sieurs Macron et Fillon ne fréquentent plus trop.

    Enfin, Poutou – lors de ce débat – était le seul à s’exprimer au « on » et pas au « je ». Et il est grand temps que les Français changent ce rapport au roi que nous avons. Poutou peut peut-être aider à ça par sa posture. Après, je vous rejoins quant à sa fonction sociale utile de piquer des voix pour éviter à une figure de gauche radicale de gouvernement d’être au second tour.

  3. d’autant que les ouvriers s’ils sont délégués du personnel et syndiqués sont protégés eux-aussi par la loi ,il faut une autorisation administrative pour les licencier je crois

    • Ils sont protégés de leur patron, ils n’ont pas d’immunités vis à vis des actes répréhensibles. Il s’agit juste d’une micro dose de démocratie dans le monde anti démocratique qu’est l’entreprise.

  4. Mme Arthaud et M. poutou sont conséquents quand ils affirment leur foi européiste : Trotsky lui-même était pour une Europe soviétique unie, il ne faut pas l’oublier…

  5. Dans un monde où les PDG se rendent en jeans, col ouvert et blouson de cuir à l’opéra, la rébellion c’est la cravate.
    Régis Debray – Un candide à sa fenêtre. Page 181.

  6. Monsieur Cochard Louis Marie les délégués syndicaux sont protégés ils doivent pour être licencié avoir l’autorisation de l’inspection du travail Marine le Pen aurait pu avancer cet argument il est dans la même position puisqu’il est délégué du personnel vraisemblablement il ne ne doit pas être beaucoup au travail comme de nombreux délégués syndicaux qui profitent du système. Ce monsieur s’érige en procureur plus grave il met à mal pour Fillon la présomption d’innocence. N’oublions pas une chose les trotskistes ne sont pas démocrates le totalitarisme prolétaire est leur leitmotiv. De plus ce monsieur a répété une leçon avec ses fiches il en était affligeant de plus il faisait que se retourner pour rester avec ses mentors ne respectant pas les conditions du débat.

  7. les idiots utiles du grand capital. immigrationnistes convaincus

  8. « Comme lorsque le même Poutou, se lançant dans la mécanique quantique, prétend qu’une musulmane peut être voilée et féministe, comme le chat de Schrödinger vivant et mort à la fois. »
    Là, je me permets de vous recommander de lire Zahra Ali, sociologue doctorante et chercheuse à L’EHESS, une des nombreuses femmes à publier leurs recherches sur la place des femmes dans le changement social dans les pays musulmans…De lire et d’écouter aussi Houria Bouteldja sur le voile justement …et puis si vous vous intéressiez un peu plus à la question, vous verriez qu’elles sont nombreuses les femmes dans le monde entier, militantes, intellectuelles, à poser la question du genre à l’intérieur de l’Islam, à dénoncer l’interprétation patriarcale du Coran.
    Enfin, je ne me lasserai jamais de recommander aussi « Burka de chair » de Nelly Arcan

    Je ne sais pas du coup celui qui amène le plus de mépris social…certainement pas celui que vous dites être déguisé « en caleçon » (!) il me semble…
    D’ailleurs, seuls ceux qui sont engoncés dans leur costume ou qui sont tracassés par leurs habits neufs d’Empereur ont fait des commentaires sur les vêtements de Poutou! Cela fait doucement rire les petites gens tels que moi qui suis habillée plus souvent en caleçon qu’en « pimpant » selon vos références donc (vous devez avoir de drôles de caleçons tout de même) et qui sais qu’il n’y a aucun lien entre cravate et respect. Souvent un oxymore d’ailleurs, bien plus que féminisme et islam!
    Un poutou à Poutou

  9. M. De Castelnau, j’aime beaucoup votre Blog même si je ne partage pas vos opinions.

    Ceci dit, je ne suis pas d’accord avec votre analyse sur l’immunité parlementaire. Le principe est bien mais qu’en est il de son application?

    Dans les faits, il protège la bourgeoisie élue. Combien d’ouvriers élus (et je ne parle pas d’anciens ouvriers) au parlement ces cinquante dernières années?

    Quant aux affaires et à l’acharnement du PNF, je suis d’accord avec vous, il n’y pas de hasard. Mais du Watergate au Pénélope gate, ces affaires ne peuvent sortir qu’au moment des élections quand les puissants se battent entre eux. Cela n’illustre ni la liberté de la presse ni le droit et la justice, c’est même l’inverse.

    Les délits financiers et de conflits d’intérêts tuent la démocratie. La démocratie a besoin de confiance comme le papier monnaie. C’est pour cela qu’on peut être condamné jusqu’à 30 ans de prison (ça a peut-être changé depuis le franc) pour avoir imprimé du papier. Alors que pour le reste, c’est normal, cherchez l’erreur.

    Je pense qu’il y a un réel problème quand à l’immunité parlementaire et son application. Quelles solutions contre ça?

    Pour finir sur une note plus légère, je ne pense pas que M. Poutou aurait du mettre une chemise. C’est un vieux débat dans l’extrême gauche, faut-il suivre les valeurs bourgeoises : s’habiller avec une chemise et une cravate, écrire des tracts sans faute d’orthographe, aimer la musique classique, etc. Ce débat est un peu plus complexe que ce que vous semblez dire. Et votre premier bâtonnier avait sans doute à cœur de montrer qu’un ouvrier pouvait acquérir tous les codes bourgeois mais est ce le but, est ce l’idéal?

    Cordialement

    Batko

  10. Le capital a besoin de ses idiots utiles, disait l’autre. Encore faut-il les repérer et les attaquer à bon escient..

    Philippe Poutou n’était pas habillé, et non déguisé. Ce qui est une erreur, comme vous le soulignez justement.

    Ensuite, en ce qui concerne l’euro-enthousiasme, il me semble quand même avoir entendu Mélenchon affirmer lors de cette soirée que le problème était dans les traités et non dans l’Europe.Donc…

    Enfin, comment récuser l’excellente formule lancée à l’encontre de la candidate rose bleu marine sur l’inexistence d’une l’immunité ouvrière? C’est quand même un bon jeu de mots d’un porte parole agité de la maladie infantile du communisme. Y chercher la énième preuve d’une machination judiciaire du système, c’est aller bien vite et bien mal en besogne…

  11. Poutou était l’invité d’un dîner de con et il a fait une belle prestation tant sur la forme que sur le fond!

  12. « l’immunité parlementaire était un outil précieux qui les mettait à l’abri de l’arbitraire. »

    Et pour les autres alors, qu’est-ce qui les met « à l’abri de l’arbitraire » ?

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