Un président légitime le 7 mai ? C’est trop tard

 

Marcel Gauchet est un homme charmant et un philosophe de grande qualité. Mais lorsqu’il s’aventure sur le terrain directement politique, apparaissent certaines approximations. On peut dire sans trahir sa pensée qu’il vient de se rallier à Emmanuel Macron en utilisant une formule choc : « Macron, c’est ce qui pourrait arriver de moins pire à la France!» Il avance pour cela un certain nombre de raisons, en particulier celle que le candidat de l’oligarchie aurait le soutien de la jeune génération. Toutes les études démontrent pourtant que c’est d’abord le FN qui récupère l’essentiel du vote des jeunes suivi désormais par Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron est surtout populaire chez les retraités, qui voient en lui la garantie de leur rente.  La sagacité de Marcel Gauchet a déjà été prise en défaut, lorsque dans une interview au Figaro il avait déclaré : «Le candidat de la droite modérée investi au terme de la primaire affrontera vraisemblablement Marine Le Pen au second tour, avec de très fortes chances de l’emporter. Aussi c’est à bon droit que les Français ont le sentiment que le choix du prochain président de la république se joue maintenant, lors de la primaire de la droite. » « À bon droit ? Bien vu ! Alors, on va me dire que « l’affaire Fillon » qui a tant affaibli le candidat de la droite républicaine n’était pas prévisible. Eh bien justement si ! Parce qu’il est clair depuis maintenant près de deux ans, que l’oligarchie et la caste qui lacère sont fermement décidées à se maintenir, et qu’après avoir raté l’opération Juppé, elles se sont prestement rabattues sur le plan B, Emmanuel Macron. L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques a été une des caractéristiques du mandat de François Hollande. La lecture du livre : « bienvenue place Beauvau » est suffisamment éloquente pour le démontrer malgré les palinodies des auteurs. Les bourgeois de province sont tombés dans le panneau en choisissant François Fillon, par haine de Nicolas Sarkozy et en participant d’enthousiasme à l’hérésie démocratique qu’était cette primaire.

Et ce qui est un peu surprenant c’est de constater que la confiscation de l’élection présidentielle de 2017, le fait qu’elle est aujourd’hui, et quel qu’en soit son résultat, définitivement faussée par l’utilisation de moyens grossiers, n’arrache aucune remarque au philosophe.

On ne reprendra pas en détail la litanie des irrégularités évidentes, qui rythment ce qui s’apparente à une forme de coup d’État soft, mais on insistera à nouveau sur le fait qu’un scrutin dans une démocratie représentative doit être « sincère et équitable ». La légitimité de l’élu et son acceptation par la minorité en dépendent. C’est la raison pour laquelle son organisation est enfermée dans des règles très strictes dont la violation ou l’inobservation prive le résultat de cette légitimité.

Il n’y a pas eu de contentieux électoral portant sur l’élection présidentielle au suffrage universel elle-même depuis 1962, mais il n’y a aucune raison pour que les règles déduites de la loi et d’une jurisprudence considérable ne s’appliquent pas. Emmanuel Macron a accumulé des avantages hallucinants par rapport à ses concurrents. Les institutions judiciaires pénales spécialisées, dont la partialité saute aux yeux sont restés stoïques dans leur refus de se pencher sur le caractère trouble des agissements financiers du télévangéliste. Tout en étant intraitables avec ses adversaires.

Patrimoine bizarre, délit de favoritisme probable, utilisation du ministère de l’économie à des fins électorales, financements politiques opaques, affaires troubles comme Alstom, Aéroport de Blagnac, et surtout cession de SFR à Patrick Drahi. Dont on peut mesurer tous les jours la gratitude, avec la mise à disposition d’Emmanuel Macron, de l’ensemble de son groupe de presse. Lequel Macron a bénéficié par ailleurs de plus de 17 000 articles élogieux à son sujet dans la presse, de 75 couvertures de magazines nationaux, et des centaines d’heures de télévision ! Les organes de contrôle que sont le CSA, la Commission Nationale des Comptes de Campagne, le Conseil Constitutionnel sont restés obstinément muets. La palme revenant au CSA, l’énorme déséquilibre médiatique ne lui arrache pas une plainte, pas plus que le scandaleux dévoiement  du service public radiotélévisé en violation de son obligation légale de neutralité. Compte tenu des informations dont on dispose aujourd’hui il est inenvisageable que le compte de campagne d’Emmanuel Macron puisse être validé. Le nombre de dépenses exposées par d’autres et qui devront y être réintégrées devrait le pulvériser. Sans parler bien sûr des déplacements de François Hollande aux frais de l’État pour aller y faire la campagne de son poulain. Nicolas Sarkozy s’est fait défoncer en juillet 2012 pour bien moins que ça. Sauf très grosse surprise le télévangéliste passera entre les gouttes.

S’il arrive que le premier tour du scrutin soit très serré entre les quatre principaux candidats, un contentieux formé devant le Conseil Constitutionnel devrait , en application de la loi et de la jurisprudence, conduire imparablement à son annulation. La faiblesse des écarts est un des critères retenus par le juge pour apprécier « l’altération de la sincérité du scrutin ».

Le problème étant que même si Emmanuel Macron était battu, l’élection d’un de ses adversaires serait elle aussi entachée par ces péripéties. Une campagne électorale illégale donne et c’est essentiel, un élu illégitime. Et c’est désormais trop tard, quel que soit son résultat la principale élection sous la Ve République est définitivement faussée.

Chaque configuration qui sortirait du premier tour, ne pourra déboucher que sur une forme de hold-up, avec des reports de voix issus de cette campagne délirante. Emmanuel Macron, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen auront s’ils rentrent à l’Élysée 75 % de la population française contre eux, qui n’acceptera pas le résultat du scrutin. Comment imaginer dans ces conditions qu’il dispose de l’autorité indispensable à la conduite des affaires publiques après l’avilissement imposé par François Hollande à la fonction. Penser que le mécanisme de la soi-disant synchronisation entre la présidentielle et les législatives donnant au président les moyens de gouverner, fonctionnerait aussi cette fois-ci, relève d’un singulier aveuglement. L’attentat contre la démocratie de 2005 et toutes ses suites infusent la société française depuis 12 ans, et nous conduisent à la catastrophe institutionnelle qui se profile. Le mandat de François Hollande a achevé la destruction minutieuse des institutions. Rien de tout cela n’est dû au hasard, et tous ceux qui auront prêté la main à cet affaiblissement de la République devront un jour en rendre comptes.

Parce qu’ils nous ont conduit au pire, mais contrairement à ce que dit Marcel Gauchet, c’est l’élection de Macron qui serait le pire du pire.

 

Régis de Castelnau

12 Commentaires

  1. mouais. non, je pense qu’il n’y a strictement aucune différence entre l’élection de macron, fillon ou hamon. après un quinquennat neutre, où aucune mesure significative ne serait prise, ils amèneront tous les 3 marine à l’élysée, sur un fauteuil.

  2. D’accord.

    Seul bémol : je crois que vous vous trompez lorsque vous écrivez : « tous ceux qui auront prêté la main à cet affaiblissement de la République devront un jour en rendre comptes » : il n’y a pas de justice en politique.

    Très peu de responsables de la défaite de 1940 ont été jugés, encore moins condamnés, et beaucoup ont retrouvé par la suite de confortables places de maires, de députés, de sénateurs. Paul Reynaud s’est même offert l’indécence de s’opposer à De Gaulle par la suite.

  3. 2005, un attentat? Ah, oui… Contre la démocratie…

    Lire ça sur un blog intitulé « Vu du droit », c’est « stupéfiant »… , dirait Léa…

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