La malédiction de l’affaire Grégory.

 

Il faut faire attention avec l’affaire Grégory. Comme la découverte du tombeau de Toutankhamon et la violation de la sépulture de Rascar Capac au Pérou, elle apporte la malédiction. Le récent suicide du juge Jean-Michel Lambert vient s’ajouter à une liste déjà longue de disparitions. Dont le premier nom est bien sûr celui de Grégory Villemin assassiné le 16 octobre 1984, mais qui a été rejoint aujourd’hui par beaucoup de protagonistes. Il y a aussi ceux très nombreux que cette affaire a rendus fous. Et enfin ceux qui se jettent aujourd’hui dans la mêlée sans disposer de l’indispensable maîtrise. Et sans mesurer que c’est justement cette passion qui, il y a 32 ans, a conduit à la catastrophe. Deux personnes pour lesquelles j’ai la plus grande estime ont à ma grande surprise, pris parti, sans tenir compte de tout ce que l’on peut savoir aujourd’hui sur cette affaire, comme si nous étions toujours en 1984 à Lépanges sur Vologne. Guy Konopnicky a republié sans distance une interview du juge Lambert datant de 2006, le qualifiant à l’encontre de la trace qu’il a laissée dans l’Histoire « quelqu’un de profondément humain qui recherchait la vérité » et considérant comme « immonde » la dramatique télévisée diffusée à ce moment-là sur France Télévisions. Les cinq épisodes de celle-ci sont disponibles sur YouTube, chacun pourra mesurer au regard à la fois de la vérité mais aussi de la mesure ayant présidé à la réalisation, à quel point ce qualificatif est difficilement supportable.

Luc Rosenzweig quant à lui, a dans les colonnes de Causeur voulu prendre la défense de Muriel Bolle et réclamé sa mise en liberté. Pourquoi pas, bien qu’à ce stade il vaudrait mieux laisser faire ses avocats, qui disposent de privilèges, de règles de procédure et d’un accès immédiat aux médias qui n’attendent que ça. Cela éviterait de commettre des erreurs, et de donner le sentiment de prendre parti dans un débat qui aujourd’hui, compte-tenu de la catastrophe d’il y a 30 ans, n’en a vraiment pas besoin. Sans revenir dans les détails d’une affaire qui en comporte énormément, on rappellera simplement qu’il n’existe aujourd’hui qu’une seule vérité judiciaire : « Christine Villemin est absolument innocente de la mort de son fils ». Elle a bénéficié d’un non-lieu, pour, chose rarissime, absence totale de charges. Après la reprise par le président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Nancy, de la procédure saccagée par Jean-Michel Lambert. Procédure saccagée, comme toutes les décisions  de la chambre d’instruction qui ont annulé ses actes le démontrent. Ce non-lieu pour absence de charges, fut accompagné d’excuses de l’institution.

Mais il faut être clair, il existe aussi un scénario pour expliquer de façon extrêmement plausible le meurtre du petit garçon. Ce scénario que tout le monde connaît depuis 30 ans, est la seule alternative possible à l’inexistante culpabilité de Christine Villemin clairement constatée par la justice. Mais de cette probable vérité factuelle, la justice ne disposait pas, essentiellement à cause de la catastrophe procédurale initiale, des éléments permettant d’en faire une vérité judiciaire. En fonction nous dit-on d’éléments nouveaux, la présidente de la chambre d’instruction de Dijon toujours saisie, a décidé de reprendre ses investigations.

Alors, que l’on conteste cette reprise 32 ans plus tard, que l’on déplore la mise en détention de Muriel Bolle, que l’on continue à penser contre l’évidence que c’est la mère qui a tué l’enfant, et que Jean-Michel Lambert n’est pour rien dans la tragédie, c’est l’affaire et le droit de chacun. Mais il vaudrait mieux éviter, au soutien d’un acte militant, utiliser pour cela approximations, erreurs factuelles, et contresens juridiques. Toutes ces choses qui ont rendu « la saison 1 de l’affaire Grégory » aussi glauque.

Que nous dit l’ami Luc ? Il stigmatise la « détention pression » pour faire parler, et la considère utilisée par la justice à l’encontre de Muriel Bolle. On fera simplement remarquer d’abord, le fait que cette pratique est beaucoup moins utilisée qu’auparavant en dehors des « petits juges » qui s’attaquent aux politiques et dont la presse raffole. Et ensuite qu’il s’agit d’éviter que s’exercent sur Muriel Bolle les pressions connues il y a 30 ans. C’est un des enjeux de la procédure aujourd’hui.

Il poursuit : « Son témoignage, indiquant que Bernard Laroche était allé la chercher au collège en voiture, s’était rendu au domicile  des Villemin, et avaient fait monter le petit Grégory dans le véhicule en compagnie de Murielle et de Sébastien, le fils de Bernard Laroche, présents pour donner confiance à Grégory, était accablant pour Laroche. Le lendemain, la famille de Murielle convoque la presse qui entend les rétractations de Murielle, déclarant qu’elle avait incriminé son oncle sous la pression de gendarmes la menaçant de « maison de correction » si elle ne disait pas ce qu’ils voulaient entendre ». Cette présentation ne correspond pas à la réalité de ce qui s’est passé.

Voilà ce que retrace le dossier : Murielle Bolle est auditionnée par les Gendarmes les jeudi 2 et vendredi 3 novembre 1984. Elle met en cause Laroche plusieurs fois. Retournée dans sa famille, elle est auditionnée par le Juge Lambert le lundi 5 novembre 1984 et elle réitère les accusations contre Laroche. Celui-ci est alors inculpé et incarcéré. Dans la soirée du 5 novembre, Muriel Bolle, contre l’avis des gendarmes est renvoyée dans sa famille. Plusieurs témoins laissèrent entendre que rentrée chez elle la jeune fille avait passé un très sale quart d’heure. Le lendemain mardi 6 novembre, flanquée de sa mère, elle demande à être à nouveau entendue et se rétracte devant le Juge Lambert. Et c’est donc six jours après la déposition devant les gendarmes et au lendemain de la réitération devant le juge et de l’incarcération de Bernard Laroche qu’intervient la rétractation.

Il n’est pas exact non plus comme il est écrit à plusieurs reprises, que ce soit le procureur qui prononce la mise en détention provisoire, mais la collégialité de la chambre d’instruction composée de juges du siège. Ce n’est pas ergoter de penser, que pour des raisons de crédibilité, et de sérieux il vaudrait mieux éviter ce genre de confusion.

Et Luc de poursuivre, tout de compassion pour Muriel, sa vie dévastée et l’horreur de la prison, en oubliant un peu l’affreux calvaire des époux Villemin, et en brocardant : « un témoignage tardif, celui d’un cousin affirmant avoir assisté aux sévices infligés par le clan Laroche à la jeune Murielle pour qu’elle revienne sur son témoignage ».  Une confrontation avec celui-ci, âgé de 55 ans et manifestement très malade, est prévue pour le 28 juillet. Il indique vouloir se mettre en ordre avec sa conscience avant une prochaine et probable disparition, et ceux qui l’ont rencontré gendarmes, magistrats et journalistes considèrent son témoignage crédible, malgré son caractère tardif. Et par conséquent cette confrontation était judiciairement inévitable. Que ce témoignage soit contesté par les avocats de la défense est la moindre des choses ! Ils n’allaient pas applaudir, mais rappelons que la valeur probante de ces déclarations sera appréciée par le juge du fond au terme d’un débat contradictoire.

Il vaudrait mieux aussi éviter de nous faire part de l’intention des conseils de Muriel de déposer contre le témoin tardif «une plainte contre lui pour dénonciation calomnieuse ». Certes l’incrimination est ronflante et sonne bien, mais s’il y avait une mise en cause pénale éventuelle contre ces déclarations, ce serait au travers d’une procédure pour faux témoignage.

Enfin, il y a ce qui se veut un coup de pied de l’âne à la fin de l’article : «Souvenons-nous également que les époux Villemin furent déboutés, en 1994 de leur plainte en diffamation et atteinte au droit à l’image déposée par eux contre Marguerite Duras. »

Quelle est cette information qui tombe comme un cheveu sur la soupe, cette mention d’une décision judiciaire de droit de la presse, dont on ne nous apprend ni les tenants et aboutissants ? Écrivant ce texte, j’ai sous les yeux l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 12 mars 1990 qui condamne Marguerite Duras à la demande des époux Villemin.

Que veut-on nous dire? Que cette décision de 1994, si elle existe, aurait une valeur supérieure à l’ordonnance de non-lieu pour absence de charges, rendue l’année précédente et consacrant l’innocence de Christine Villemin ? Et que celle-ci, faute d’avoir obtenu la condamnation de Marguerite Duras pour ses âneries, serait donc de ce fait toujours coupable, forcément coupable ?

Cher Luc, Cher Konop je vous ai connu mieux inspirés.

Régis de Castelnau

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