Gilets jaunes : des détentions arbitraires

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Atlantico a sollicité mon avis après les révélations publiées par David Dufresne sur la façon dont les forces de police manipulaient les gardes à vue. Piochant après les arrestations pour trouver un motif justifiant ses privations de liberté. Nouveau scandale qui montre à quel point le pouvoir d’Emmanuel Macron se moque des libertés publiques. Faisant commettre à cette occasion aux forces de police, et sans que cela n’arrache un froncement de sourcils à la justice, l’infraction gravissime de détention arbitraire par agent public. À un moment, il faudra sérieusement lui demander des comptes.

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MANIFESTATIONS GILETS JAUNES : anatomie d’un cas de garde à vue à motif aléatoireCe lundi 15 avril, le journaliste David Dufresne publiait son 624e signalement au ministère de l’intérieur, dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, s’appuyant sur un enregistrement audio pointant un motif aléatoire retenu pour une garde à vue.

Atlantico : Cet enregistrement permet-il de caractériser cette situation ? Comment interpréter ce cas ?

Régis de Castelnau : Très simplement. Les parquets ont reçu des consignes de la chancellerie pour procéder à des arrestations « préventives » illégales accompagnées de gardes à vue illégales. Le Canard enchaîné avait révélé le contenu d’un e-mail envoyé par le procureur du tribunal du grande instance de Paris à ses troupes. D’après ces consignes, les procureurs étaient invités à maintenir les gens arrêtés en garde à vue, même s’il n’y avait aucun motif pour le faire. L’objectif étant bien évidemment de les empêcher d’exercer leur liberté constitutionnelle de manifestation. Il semble que cette pratique se soit généralisée à la France entière ce qui en dit long sur la conception du pouvoir macroniste du respect des libertés publiques fondamentales et en particulier celles d’aller venir et de manifester. Parce qu’à l’écoute de l’enregistrement, nous avons l’illustration des techniques utilisées. On arrête les gens massivement, on les met en garde à vue, et c’est seulement à ce moment-là que l’on pioche dans le Code pénal pour savoir quelles infractions les services de police vont pouvoir utiliser pour justifier la rétention des personnes arrêtées. « Plouf plouf, toi ce sera « dégradations », plouf plouf, toi ce sera « rébellion », plouf plouf, toi ce sera « jet de projectiles ». Et tout ceci est évidemment couvert par des magistrats zélés qui ne voient aucun inconvénient à d’aussi grossières violations de la loi qu’ils sont pourtant chargés de faire respecter.

Il serait peut-être utile de rappeler aux agents publics que sont les procureurs et les fonctionnaires de police le texte de l’article 432-4 du Code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende. »
Si l’État de droit dont le pouvoir se rengorge à toute occasion, n’était pas à géométrie variable désormais dans notre pays, il y a longtemps qu’il aurait été mis fin à ces pratiques et que les responsables auraient été sanctionnés.

Que peut révéler ce cas d’espèce sur la situation globale des gardes à vue depuis le début du mouvement des Gilets jaunes ?

Les brutalités policières à foison que chacun peut voir sur d’innombrables vidéos qui circulent relèvent de la législation sur les violences accomplies par des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis le début mouvement des gilets jaunes, ceux qui s’y livrent sont scrupuleusement protégés de toute poursuite malgré les évidences. Mais s’agissant de ces interpellations et de cette utilisation systématique, délibérée et organisée des gardes à vue comme outil d’arrestations préventives, nous sommes en présence d’une décision politique pour porter atteinte au droit de manifester. Le pire répétons-le est que ces dérives sont organisées par ces magistrats, pourtant chargés de faire respecter la loi. Auxquels les forces de police ne font qu’obéir. On rappellera cependant à ces dernières, qu’obéissant ainsi à des ordres aussi manifestement illégaux, elles engagent leurs propres responsabilités pénales.

Nous avons là l’illustration de l’acharnement obtus d’Emmanuel Macron, qui incapable d’imaginer une solution politique à la crise, n’envisage comme sortie qu’une répression policière et judiciaire sans précédent depuis la guerre d’Algérie. Et avec cette instrumentalisation, il a pris le risque de porter atteinte à la confiance qui devrait exister entre les citoyens et les autorités policières et judiciaires. Cette confiance est désormais lourdement obérée, et probablement pour longtemps.

Quels sont les recours potentiels dans un tel cas ? Quelles pourraient en être les conséquences, à terme, pour le gouvernement ?

La question est de savoir combien de temps une partie la magistrature française peut accepter de continuer à faire ce sale boulot. On rappellera que malheureusement au zèle des parquets à exécuter les ordres illégaux du gouvernement, s’est ajouté celui de beaucoup de juges du siège qui ont oublié que leur mission n’était pas de rétablir l’ordre mais de rendre la justice, ce qui n’est pas la même chose. Procédures illégales, incriminations fantaisistes et peines parfois délirantes, le mouvement des gilets jaunes a payé un lourd tribut à cette ivresse répressive.

En ce qui concerne les recours, il n’y a pas grand-chose à espérer pour le moment parce qu’en effet la répression des illégalités exposées ici relève de la compétence de la justice… Tout le monde aura noté l’assourdissant silence des organisations syndicales de magistrats pourtant habituellement très prolixes quand il s’agit de donner de leçons. Il faut simplement prendre date, et que toutes ces infractions et ces atteintes aux libertés fassent l’objet de plaintes et qu’il en reste ainsi la trace.

Car en fait la question est essentiellement politique. La presse et les gouvernements étrangers, jusqu’aux institutions internationales stupéfaits de ces dérives ont manifesté leur émotion. Dans l’opinion publique française la perception de cette réalité est acquise. Les deux corps concernés, police et justice qui ont accepté, d’être le bras armé de la seule solution répressive, sont aujourd’hui incontestablement traversés par des contradictions. Il est clair que des changements politiques adviendront, personne ne pouvant raisonnablement penser que cette situation de blocage puisse perdurer. Il n’est pas audacieux de dire que le quinquennat d’Emmanuel Macron est terminé sous sa forme initiale. Ceux qui ont été à la manœuvre de ce qui s’est produit depuis le mois de novembre en matière d’atteintes aux libertés auront à rendre des comptes. Il faudra y veiller.

Régis de Castelnau

9 Commentaires

  1. Il est quand même très inquiétant de voir la faiblesse des lois qui nous protègent et avec quelle facilité l’exécutif, le législatif et le judiciaire piétinent nos libertés. Finalement, que signifie l’état de droit si les lois ne sont pas respectées par le Pouvoir dans ses 3 composantes ? Rien, zéro, nada, En l’espèce, le partage des pouvoirs ne sert à rien et surtout pas à protéger les libertés publiques. Nous sommes nus devant la violence des dirigeants. C’est une terrible leçon que nous devons méditer.

  2. Grâce à Macron, la prescription correctionnelle est désormais de 5 ans…. Sinon, on était marrons en 2022 !

  3. Ne peut-on espérer que ces décisions iniques de la justice française et l’Etat français soient in fine condamnés par la Cour de justice européenne, pour peu que des recours soient déposées ?

  4. C’est la première fois que je laisse un commentaire sur votre blog, maître, blog qui m’avait interpelé voici quelques mois (je ne me souviens plus à propos de quel article, passons..), et que je suis (du verbe « suivre ») régulièrement depuis, m’y étant même abonné.
    Cependant, je me suis mis à vous lire différemment suite à un article (encore une fois, je ne saurais dire lequel!…) où je sentais pointer quelques pincées savamment dosées de l’argumentaire proche de la droite la plus extrême…
    Depuis lors, je vous lis toujours avec intérêt, mais ne partage plus vos articles! Loin de moi l’idée de vous « blâmer », vous êtes tout à fait libre de vos opinions (que je partage souvent, force m’est de le reconnaître!), non, si je devais blâmer quelqu’un, ce serait moi-même, pour ne pas avoir poussé plus loin la curiosité, et n’avoir découvert que plus tard que votre blog était hébergé par « Causeur », dont je suis, pour le coup, loin de partager les idées et l’orientation politique!!
    Si je réagis donc à votre dernier article, c’est justement en raison de cette phrase, qui m’a pour le moins interpelé, voire choqué:

     » Tout le monde aura noté l’assourdissant silence des organisations syndicales de magistrats pourtant habituellement très prolixes quand il s’agit de donner de leçons. »

    Ah! Que voici une belle assertion, dont on je ne puis, à l’évidence, que contester la véracité! Je ne suis pas juriste, mais la justice de mon pays, oh combien menacée ces derniers temps, m’intéresse comme tout citoyen responsable, et je sais que « certain syndicat », que vous ne devez pas vraiment apprécier je pense (j’insiste, « je pense »!, cela me paraît tellement logique….) se bat depuis longtemps contre sa déliquescence!
    En guise de conclusion, je renverrai donc le lecteur.trice (soyons « politiquement correct »!) de mon commentaire, si toutefois il y en a un!, à ceci:

    http://www.syndicat-magistrature.org/Non-maintenir-enfermes-des-innocents-n-est-pas-classique.html

    Sachez cependant que je continuerai à lire vos billets avec le même intérêt!
    Cordialement.

    • Critiquer le syndicat de la magistrature, officine de la pire des gauches culturelles libérales, est un devoir civique. Fondateur en 1973 (!) du Syndicat des Avocats de France, je les pratique depuis 46 ans. Toujours à réclamer l’indépendance de la justice en professant la partialité comme l’a démontré la lamentable affaire du « mur des cons ». Cette organisation partage avec les autres d’ailleurs la tare du corporatisme le plus étroit.
      Concernant mes propres opinions, je vous invite à vous informer. Communiste j’ai été (longtemps membre du vrai PCF), communiste je reste. Mais si l’Histoire a rendu son verdict, ce que personnellement j’en ai retenu c’est que la fin ne justifie pas les moyens.
      Je maintiens que les organisations syndicales de magistrats ont été en dessous de tout à l’occasion de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques de rétablissement d’un ordre injuste. Avec une protestation du bout des lèvres contre le dévoiement des gardes à vue on est vraiment loin du compte. Le parquet français s’est déshonoré, et les juges du siège en partie aussi. Le SM est dans la même situation, je ne me gênerai pas pour le dire. Et je ne me laisserai pas intimider par l’accusation d’avoir des positions d’extrême droite. Oh ça non !

    • Régis de Castelnau a répondu sur les questions de droit et un peu sur ses positions politiques.

      En ce qui me concerne, je suis instituteur retraité, de parents communistes espagnols réfugiés en France en 1939, suite à la guerre civile.
      J’ai été membre du PCF pendant 32 ans et militant actif à la fin des années 60, dans les années 70 et au début des années 80.
      Je me considère maintenant comme un mélange de gaulliste (Europe, politique étrangère, rôle de l’Etat dans l’économie et le social, …) et de marxiste (il existe une classe dominante avec des alliés et des classes dominées; l’idéologie dominante est celle de la classe dominante, etc …).

      Vous parlez du site « Causeur ». Serait-il de « la droite extrême » ? Certes, sa directrice, Elisabeth Lévy est plutôt de droite. Mais, en 2002, elle avait soutenu la candidature Chevènement (c’était aussi mon cas).
      David Desgouilles est gaulliste. plutôt de droite, mais il a souvent mis en lumière les convergences qui ont existé dans le passé entre gaullistes et communistes.
      Jean-Paul Brighelli vient de la gauche. Mais, il a été scandalisé par les politiques scolaires de bon nombre de ministres PS (Jospin, Peillon, Vallaud-Belkacem, …) qui ont saccagé l’Education Nationale. Personnellement, les politiques de ces ministres (et des calamiteux et omnipotents idéologues du pédagogisme) m’ont ulcéré aussi.
      Jérôme Leroy est proche des communistes.

      Quant à Régis de Castelnau, je ne vois pas en quoi il est de la droite extrême. Il ne soutenait pas le programme de Fillon. Il n’a voté au 2e tour ni pour Macron ni pour Marine Le Pen. Il a voté aux 1ers tours de 2012 et 2017 pour Mélenchon. Il est proche de Kuzmanovic (1) qui fut un conseiller de Mélenchon en 2017.

      Certes, il a été scandalisé par les méthodes avec lesquelles on a « coulé » la candidature Fillon. Il l’a été aussi lorsqu’on a voulu imposer à Marine Le Pen une expertise psychiatrique. Quoiqu’on pense des idées défendues par ces personnes, le traitement judiciaire qui leur est imposé (ainsi qu’à Mélenchon) est un scandale d’Etat.

      Ces dernières décennies, la gauche est de plus en plus calamiteuse. Dans sa majorité, elle a bradé le social pour s’enfoncer dans le sociétal. Elle assimile « sécuritaire » à « fasciste ». Alors qu’à l’époque de Georges Marchais, le PCF montrait que l’insécurité frappait les couches populaires et non la classe dominante. Alors que Karl Marx fustigeait le lumpenprolétariat (la racaille).

      C’est cette gauche dévoyée qui favorise le FN (RN maintenant), car avec ses idées calamiteuses, elle a perdu l’électorat ouvrier, populaire qui se tourne de plus en plus vers le FN/RN (cf les députés de ce parti élus dans les vieilles circonscriptions ouvrières du Nord et du Pas-de Calais).

      En ce qui me concerne, je renvoie à ce que j’ai écrit quand un commentateur a accusé Régis de Castelnau de « virer Doriot » :
      https://www.vududroit.com/2019/01/systeme-macron-violence-etat-de-droit-a-geometrie-variable/#comment-4648

      (1) Certes, depuis quelques mois, Kuzmanovic n’est plus à LFI. Mais, c’est en raison de la montée des idées gauchistes dans ce mouvement.

  5. @ ANDRÉ ROUILHAC
    Je me permettrai, par expérience de terrain, de vous dire que vous m’étonnez concernant le syndicat de la Magistrature.
    Mais, à chacun son vécu……….

  6. AUX INCENDIAIRES

    Aux incendiaires en jaune, en rouge ou en noir.
    Notre-Dame en flammes ne leur a rien appris et ne les a pas freinés. Il y a toujours des gens heureux de mettre le feu.
    Grand merci aux télés de nous montrer, ce samedi, les feux éteints par les pompiers.Elles devraient avoir la gentillesse de nous montrer la binette des incendiaires.
    Et quand les pompiers n’auront pas le temps d’éteindre les feux, elles seront aimables de nous montrer le bel immeuble qui brûlera, puis les cadavres calcinés qu’on sortira des flammes.

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