Justice des mineurs : un pansement sur une jambe de bois

Justice des mineurs : nouvelle opération de communication, nouveau déclenchement volontaire d’une polémique pour faire diversion, aucune intention de mettre les moyens financiers et matériels pour tenter d’améliorer une situation dégradée, ce pouvoir est fidèle à ses habitudes. Nicole Belloubet a présenté les « grandes lignes » de sa réforme de l’ordonnance de 1945. Qui ne changera pas grand-chose, le problème fondamental étant de donner à cette justice particulière essentielle les moyens de remplir sa mission. Une fois de plus les lois, et en l’occurrence les ordonnances sont utilisées de façon proclamatoire pour masquer l’impuissance budgétaire et administrative.

Kévin Boucaud-Victoire rédacteur en chef idées de Marianne m’a demandé mon avis. Je reproduis ici cette interview que l’on peut également retrouver directement sur le site du magazine.

(On en profitera pour signaler que Kevin Boucaud-Victoire après s’être occupé de la gauche française et de George Orwell, publie un troisième ouvrage consacré à Jean-Claude Michea (Mystère Michea : portrait d’un anarchiste conservateur) dont on recommande la lecture.

Régis de Castelnau

Propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire

« Je propose de ne plus poursuivre les délinquants de moins de 13 ans en instaurant, en-deçà de cet âge, une présomption d’irresponsabilité » a expliqué la ministre de la Justice Nicole Belloubet, qui souhaite réformer l’ordonnance de 1945, relative à l’enfance délinquante. L’avocat Régis de Castelnau décrypte avec nous les enjeux de cette décision..

Marianne : Beaucoup accusent l’ordonnance de 1945 d’être à la fois obsolète et illisible. Faut-il la réformer ?

Régis de Castelnau : Ce texte particulièrement sensible dans l’opinion et le monde politique est effectivement aujourd’hui un joyeux fouillis. Pas moins de 39 réformes ont été adoptées qui en font aujourd’hui une espèce de millefeuille compliqué à manier.

On va rappeler que le droit de l’enfance délinquante est un droit « autonome » distinct du droit pénal général. Il y avait alors deux solutions : soit faire ce que l’on appelle une « consolidation » à droit constant, c’est-à-dire remettre de l’ordre et clarifier mais sans changer les règles, sans toucher au dispositif normatif lui-même. Soit adopter un nouveau texte global en y introduisant des mesures nouvelles.

ur le plan politique, personne jusqu’à présent ne s’était risqué à s’attaquer sérieusement à ce problème, par crainte de polémiques et de difficultés politiques. Mais cette fois-ci le gouvernement a trouvé une astuce, exit la démocratie parlementaire, c’est la voie de l’ordonnance qui sera utilisée. Ce n’est pas très courageux, mais on peut le comprendre.

Quelles sont les mesures phares de ce nouveau texte présenté par Nicole Belloubet ? Et que vont-elles changer ?

On ne sait pas trop encore, parce que nous ne disposerons du texte complet qu’à la mi-septembre. Cependant la Garde des Sceaux en a présenté les grandes lignes. Tout d’abord elle propose « de ne plus poursuivre les délinquants de moins de 13 ans en instaurant, en-deçà de cet âge, une présomption d’irresponsabilité ». Voilà le type même de mesure « progressiste » annoncée à grand son de trompe et qui ne va dans les faits pas changer grand-chose.

Comment se pose le problème aujourd’hui ?

En France, l’âge de la responsabilité pénale, c’est-à-dire celui à partir duquel les mineurs sont considérés comme suffisamment âgés pour voir leur responsabilité pénale reconnue, n’est pas précisément fixé. Pour l’instant la règle générale est que les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables. La jurisprudence a reconnu que dès huit à dix ans, les enfants possédaient la capacité de discernement suffisante pour être pénalement responsables de leurs actes. Mais en dessous de 13 ans les enfants n’encourent pas de sanctions pénales mais des mesures d’assistance éducative. Les sanctions pénales encourues de 13 à 18 ans, ne sont pas énoncées par le Code pénal mais par l’ordonnance du 2 février 1945.

Nicole Belloubet nous a annoncé qu’il existerait désormais une « présomption d’absence de discernement » en dessous de 13 ans. Donc résumons le système proposé : en dessous de 13 ans, présomption d’irresponsabilité pénale, de 13 à 18 ans responsabilité pénale spéciale d’un mineur, au-delà de 18 ans responsabilité pénale du régime général.

Le problème est que pour les enfants de 10 à 13 ans cela ne va rien changer. Car s’il existe une « présomption d’absence de discernement » conduisant à l’irresponsabilité pénale, cette présomption peut être renversée. C’est-à-dire que le juge pourra constater que même en-deçà de 13 ans le discernement existait, même si pour le faire il devra motiver explicitement sa décision. Dans la pratique, je vois assez mal ce que cela va changer…

La deuxième mesure présentée comme un grand progrès, est la procédure en deux temps. C’est-à-dire que le mineur sera jugé en deux fois. Une première audience pour constater et déclarer sa culpabilité, une autre audience plus tard pour fixer la peine, en fonction du comportement du mineur depuis sa déclaration de culpabilité. La nouveauté n’est pas aveuglante non plus. En effet actuellement la déclaration de culpabilité et la fixation de la peine se font en même temps. Mais pour l’exécution de cette dernière il y a le rôle du juge de l’application des peines qui dispose de prérogatives importantes pour la moduler. Et bien sûr en fonction du comportement du mineur condamné…

Je crains fort que l’on se retrouve une fois de plus en présence d’opérations de pure communication à la faible portée concrète et pratique.

Sur cette question, la France doit-elle s’aligner sur les conventions internationales, notamment celle des droits de l’enfant des Nations unies ?

Bonne question, car l’idée d’une harmonisation des diverses législations à partir de l’application de principes internationalement consacrés est quelque chose de souhaitable. Simplement, cela pose deux problèmes.

Le premier est celui de l’hétérogénéité des situations nationales où ces questions sont traitées en fonction d’Histoire, de culture et de religion particulières. D’où la difficulté parfois d’aboutir à des normes qui seront considérées comme universelles. Cela étant, le travail des organisations internationales sur les questions de l’enfance a quand même été souvent source de progrès considérables.

Le deuxième problème est celui de la souveraineté, car en ce moment l’opinion française est assez sensible à la prégnance en droit interne de normes qui n’ont pas fait l’objet de délibération démocratique dans notre pays. La multiplication de ces pactes, conventions internationales, et autres traités de plus en plus invoqués suscitent une réelle méfiance comme viennent encore de le démontrer les réactions à la décision de la cour d’appel de surseoir à l’arrêt des soins de Vincent Lambert sur la base d’un avis d’un comité de l’ONU sans valeur normative.

Il est clair que Madame Belloubet, de façon assez hypocrite va invoquer cette nécessité de s’aligner sur ces conventions internationales pour faire passer sa réforme.

Comment réformer efficacement le système judiciaire pour les mineurs ?

Après avoir dit être circonspect sur l’ampleur de la réforme, on peut s’interroger sur les conséquences réelles de celle-ci. Depuis plusieurs dizaines d’années la production législative proclamatoire est le plus souvent le masque de l’impuissance budgétaire et administrative. Comme le reste, pour être efficace dans la lutte contre la délinquance des mineurs, il faudrait d’abord et avant tout considérablement augmenter les moyens. La justice des mineurs comme la justice en général est quasiment en faillite, et ce n’est pas avec ce gouvernement que cela risque de changer. Les besoins sont considérables dans tous les domaines mais celui de cette délinquance des jeunes est probablement le plus sinistré. Il faut du personnel spécialisé, magistrats et éducateurs, des centres fermés d’éducation, des lieux particuliers de détention, tous moyens dont on manque aujourd’hui de façon criante.

Un seul critère, celui de la détention provisoire. 29 % des majeurs détenus en France sont en détention préventive, ce chiffre monte à 83 % pour les mineurs. Cette situation n’est pas acceptable au plan des principes, mais aussi parce qu’elle génère chez les magistrats un découragement qui amène, ce qui est réel, à relâcher trop vite dans la nature ces jeunes qui se livrent à une délinquance insupportable à l’opinion, celle des vols, des violences et des incivilités graves. Il faut savoir que dans notre pays, 1,5 million d’infractions avec auteurs connus ne sont pas poursuivies par les parquets faute de moyens. On aura envie de dire à Madame Belloubet : « Vos effets d’annonce c’est bien joli, mais d’abord mettez de l’argent dans notre justice, et en particulier celle des mineurs. »

Régis de Castelnau

5 Commentaires

  1. En France on oublie l’histoire, et l’histoire du droit pénal en particulier. L’histoire du droit est fondamental, car beaucoup de choses ont été essayé par le passé d’où l’ordonnance de 1945 qui en tire les conclusions.

  2. Chaque fois que j’entends son nom, ‘Belloubette’, j’ai la même réaction : « C’est une info ou une question ». Avouez qu’il y a de quoi…

  3. Pourquoi nous décourager de lire ce très intéressant artcle en exhibant en tête de celui-ci l´image disgracieuse de notre garde des sots ? Rachida était plus sexy.

  4. quasiment depuis sa création l’Ordonnance de 45 est déclarée obsolète, à revoir, à modifier … la plus grande réforme ( à mon sens) a été de changer le nom « Education Surveillée » en « Protection Judiciaire de la Jeunesse », j’étais alors fonctionnaire dans cette sous-direction du ministère de la justice, en charge de la formation des personnels sur Rhône-Alpes-Auvergne. En conséquence de cette réforme nous avons en partie récupéré « les victimes » en plus des « coupables », avec en parallèle une baisse constante des effectifs et une féminisation du corps professionnel … au passage on a abandonné la fonction essentielle que joue la punition (surveiller et punir) dans la « rédemption », ouvrant la porte à la psychiatrisation des individus !

  5. Il semble dangereux d’oublier ce qu’un conditionnement « approprié » peut faire d’un enfant; l’exemple des Hitlerjugend en 1945 precisement donne à reflechir plus serieusement.

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