Loi travail, Air France, Goodyear: le goulag qui vient…

Martinez

Nos belles âmes ont l’emphase sélective.

Depuis quelques jours, depuis que les ouvriers se sont un peu réveillés pour exprimer leurs contrariétés, en face, c’est un tollé. Ce qui est amusant, c’est de retrouver mot pour mot tous les « éléments de langage » habituels, ceux que j’entends depuis toujours, dès qu’un mouvement social se durcit.

Il y a d’abord eu avec Nuit debout la phraséologie fantaisiste, auberge espagnole des utopistes intermittents, qui refont l’avenir à longueur d’assemblées générales. Avec pour leur répondre, comme avant, un académicien et quelques éditorialistes.  J’ai déjà dit ici que cela m’avait rajeuni.

Il y a eu ensuite les casseurs à l’origine douteuse, qui sont venus perturber les manifestations contre la loi travail avec l’intention manifeste de déconsidérer le mouvement. Comme d’habitude, ils ont bénéficié dans un premier temps de la complaisance que la bien-pensance accorde aux faux rebelles à la recherche de sensations. Jusqu’à ce qu’un adjoint de sécurité martiniquais et marmoréen, permette de rappeler qui étaient les lyncheurs. Et comme d’habitude encore, les retardataires qui n’avaient pas compris que le vent avait tourné se sont faits piquer, et sont partis, sous les cris de joie, faire un petit séjour à l’ombre.

Et enfin, voilà que les ouvriers s’y mettent. Mais attention, pas comme depuis longtemps à l’occasion d’une fermeture d’usine mettant des milliers de gens à la rue, non là il s’agit de ce que l’on appelle parfois « l’aristocratie ouvrière ». Celle dont on sait que ses membres  font tourner la boutique. Pour tout un tas de raisons, avec leurs syndicats, ils ne veulent pas de la loi travail. Et c’est cela qui est embêtant, car ils peuvent faire se gripper la machine, voire la bloquer. Et comme à chaque fois, on assiste à une jolie levée de boucliers : « Chantage, prise d’otages, dictature stalinienne, violences inacceptables, attitude irresponsable» Le syndicat du Livre, habitué des formes de lutte parfois déconcertantes, y va de son petit coup de main. Refus d’imprimer les quotidiens qui n’ont pas passé un communiqué de la CGT. J’ai connu un nombre incalculable de grève de cette nature avec les mêmes conséquences, si ce n’est qu’avec Internet l’impact est quasiment infime, et que si on veut vraiment s’administrer son éditorial quotidien de Laurent Joffrin, le site web de Libération fera l’affaire. Ah mais non, c’est extraordinairement grave, la liberté d’expression est anéantie en France.

Les Français choqués par l’idée d’un concert de rap donné par un chanteur affligeant, pour commémorer le centenaire de la bataille de Verdun, avaient été prestement traités de fascistes par plusieurs ministres. Qualité du débat oblige, cette fois-ci les ouvriers du livre sont qualifiés de pourvoyeurs de goulag.

Nos doctes et belles âmes, journalistes, économistes, sociologues, politologues, ceux qui expliquent tout et ne prévoient rien, retrouvent instantanément leurs réflexes de classe. Utilisant les mêmes mots et les mêmes expressions que leurs prédécesseurs. C’est normal, c’est toujours comme ça et on en a l’habitude.

Par exemple, ce qui va être intéressant, c’est d’écouter ou lire leurs commentaires à propos de la partie judiciaire de l’affaire des chemises d’Air France. On se rappelle, ces incidents s’étaient produits au moment où la direction de la compagnie annonçait un plan social de 2 500 licenciements. Ce qui était quand même de nature pour les salariés concernés à provoquer une certaine anxiété. Comme toujours désormais, au sein de la « gauche » convenable, ce fut une levée de boucliers, éructations et anathèmes. Le Premier ministre en personne se précipita au siège de la compagnie pour apporter son soutien à celui qui la dirige, et pour stigmatiser les « voyous ». Celui qui la dirige, c’est Alexandre de Juniac, caricature de pantoufleur mis en place par Nicolas Sarkozy, et auteur d’une mémorable prestation filmée devant un parterre de patrons rubiconds et hilares. Ce brave garçon qui venait par ailleurs d’annoncer à 2 500 de ses salariés qu’il les foutait à la porte, y développait une saine conception des rapports sociaux. Posant fort sérieusement la question du retour du travail des enfants, et faisant du très démocratique Qatar le modèle dont il rêvait, grève interdite et grévistes en prison. La vidéo a tourné sur les réseaux en même temps que celle où l’on voyait les cadres d’Air France, chemises arrachées.

 À quelques rarissimes exceptions près, silence total des belles âmes sur l’obscène prestation du pantoufleur. Le Premier ministre pu ainsi tranquillement, par l’intermédiaire de Christiane Taubira garde des sceaux, donner les ordres au parquet pour sortir le grand jeu avec célérité. Interventions massives de la police à l’aube, arrestation des criminels dès potron-minet, gardes à vue prolongée, et citations directes en correctionnelle. Pourquoi s’encombrer d’un passage à l’instruction, quand il s’agit de donner des gages au patronat ? Silence toujours persistant des belles âmes, il faut faire confiance à la justice, nous certains sans y croire une seconde.

Comme dans l’affaire Goodyear ? Où sur réquisitions conformes du parquet elle a décidé d’envoyer en prison quelques salariés devenus chômeurs, pour avoir protesté contre un plan social massif qui a jeté à la rue des centaines de personnes, plongé des familles dans la souffrance, en en faisant exploser beaucoup, et pour faire bonne mesure, provoqué 14 suicides. Mais, foin de misérabilisme n’est-ce pas, force doit rester à la loi, enfin à celle qui donne aux employeurs toute latitude pour faire plaisir aux actionnaires en traitant le salariat comme une variable d’ajustement. Cette incroyable sévérité fut fort peu commentée par nos belles âmes, qui en revanche se sont réveillées en sursaut pour nous annoncer la fin du monde dès lors que les couches populaires, hostiles à la loi travail ont commencé à renauder.

Alors, pour revenir au jugement de l’affaire des chemises d’Air France, il est apparu à ceux qui ont eu accès au dossier, que celui-ci était judiciairement ténu. Il ne s’agit pas de nier qu’il y ait eu des violences, mais un traitement normal de la preuve en matière pénale devrait rendre très difficile la condamnation de ceux qui sont poursuivis. Comme il fallait intimider, faire un exemple pour calmer la canaille, et faire plaisir à Manuel Valls, ils ont été choisis dans l’urgence par le parquet. Aux juges du siège de se débrouiller. J’espère pour ma part qu’ils feront leur, la maxime selon laquelle « une Justice pour l’exemple n’est jamais exemplaire ».

Quant à nos belles âmes, normalement peu sujettes aux troubles de conscience, elles resteront probablement silencieuses, ou alors, comme c’est le cas depuis quelques jours, elles appelleront à la résistance contre le goulag qui vient. « Vous vous rendez compte, les syndicats d’Air France ont appelé à un rassemblement devant le Palais de justice de Bobigny. Après la grève du Livre qui a détruit la liberté d’expression en France, voilà que les partageux veulent mettre la justice au pas. »

Tout changer pour que rien ne change ?

Régis de Castelnau

3 Commentaires

  1. j’espère que si ce procès médiatique accouche d’une souris, on fera raquer le plaignant, l’état. on devrait d’ailleurs instaurer des pénalités pour tous ces procès médiatiques qui occupent en pure perte les fonctionnaires de justice alors que les dossiers s’empilent. ces pénalités serait une réponse parfaite à leur demande de moyens supplémentaires.

  2. Le goulag qui vient? Non, mais l’anarchie et le recul continuel de l’Etat de droit et de l’autorité de la loi. Parce que si les séquestrations de quelques heures deviennent légitimes, pourquoi ne pas passer à plusieurs journées? Pourquoi ne pas rouer de coups le patron? Si les agriculteurs, les taxis, les bonnets rouges, les routiers, peuvent bloquer les routes et dégrader par millions, pourquoi se priver? Le besoin d’autorité, ce sera un vote Le Pen l’année prochaine. En Espagne en 1936, l’anarchie généralisée et les meurtres qui ont suivi l’élection ont largement contribué au putsch.

    Ni de Gaulle ni Mitterrand ni Blum n’auraient toléré une telle chienlit. Il y avait une vraie justice pénale, et l’amnistie, parfois nécessaire, avait un sens. La dernière grève insurrectionnelle en France c’est 1947. La répression fit plusieurs morts, la CGT aussi, en faisant dérailler un train.

Laisser un commentaire