France-Allemagne : Rio 2014 n’est pas Séville 82

Séville

Du bon usage de la ligne bleue des Vosges

Il serait peut-être opportun d’arrêter de polluer le quart de finale France-Allemagne avec le souvenir de Séville 1982. D’abord, parce qu’il n’y a rien de plus exaspérant que de voir le mainstream ignorant se transformer en souteneur de l’équipe de France tous les quatre ans. Mais qu’ils se taisent ! Tous leurs commentaires dégoulinent d’ignorance et d’opportunisme. Depuis trois jours, ils revisitent la soirée du 8 juillet 1982. Et nous refont le coup de la ligne bleue des Vosges. J’ai assisté en direct à la tragédie de Séville. Au-delà de l’horrible concentré d’injustice que fut cette victoire de la force brutale sur l’intelligence, il faut rappeler que pendant les vingt années précédentes, la France était ridicule en football. Et pourtant ce soir-là, elle fut aérienne… Je n’ai jamais pu revoir le match en vidéo, jamais. C’est dire, s’il reste un formidable souvenir. Mais aujourd’hui, ça suffit. Des revanches on en a pris. D’abord, le premier match amical avec les Allemands qui avaient suivi la coupe du monde espagnole fut une étonnante partie de baston. Les Français (qui gagnèrent 2-0) avaient marché sur leurs adversaires sans qu’intelligemment les Allemands ne répondent, et que l’arbitre n’intervienne. Il fallait purger Séville.

Ensuite, tout le monde semble avoir oublié la coupe du monde suivante. L’équipe de France, après un parcours brillant, et notamment un quart de finale de légende contre le Brésil retrouvait l’Allemagne en demi-finale (tiens, tiens). Là aussi, on nous annonçait la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine. La France, éreintée par son match précédent, fut logiquement battue, alors que tout le monde pensait qu’elle irait retrouver l’Argentine de Maradona en finale. Alors, pourquoi ressortir aujourd’hui de leurs placards de retraités Schumacher, Battiston et Trésor ? Pour motiver les joueurs ? Ils n’ont sûrement pas besoin de ça, soyons sérieux. Même si c’est populaire, même si c’est identitaire, ce n’est que du football.

Et puis, si l’on veut continuer à filer la métaphore guerrière, autant le faire avec de la mémoire. Au début de 1914, la France n’était pas particulièrement obsédée par la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine. C’est au cours du mois de juillet, lorsque l’implacable mécanique se mettait en place que l’on réactiva cet objectif patriotard. Avec les conséquences stratégiques que l’on connaît. Le haut commandement français, obsédé par la ligne bleue des Vosges, engouffra immédiatement ses armées sur ce terrain où les Allemands les attendaient. Ce fut cuisant. Pendant ce temps, alors qu’il disposait de tous les éléments, Joffre négligea la mise en œuvre du plan Schlieffen. Et seul l’incroyable miracle de la Marne permit d’échapper au désastre. Pour ouvrir les portes de l’enfer d’une guerre interminable dont nous ne nous sommes probablement jamais remis.

Alors, on se calme. Séville, c’est de l’Histoire. On oublie. Sinon, tu vas voir qu’à ce petit jeu-là, sur la feuille de match, vont apparaître les noms de Schlieffen, Molkte, sans oublier Guderian.

Prenons un grand plaisir à regarder un match de football. Et à la fin, de toute façon, on boira un coup. Pour fêter, ou pour oublier…

Régis de Castelnau

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