Honneur à Thomas Dupuy

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Merah, Fraisse, Dupuy, destins croisés.

C’est une photo. Publiée par le ministère de la Défense et jointe au communiqué annonçant la mort au combat du sergent-chef Thomas Dupuy. Cette image d’un homme jeune, noir, beau et serein provoque un curieux sentiment, difficile à définir. Ce militaire de 32 ans vous regarde dans les yeux, et ce regard nous dit quelque chose. Mais quoi ? Désireux, comme il l’avait dit lui-même, d’être utile à son pays, il a trouvé le bout de la route dans la caillasse du Sahel malien, fauché dans une guerre lointaine, dont personne ne sait vraiment si elle est nécessaire et juste. Il est donc mort pour la France, mais qui écoute encore Victor Hugo nous dire: « ceux qui pieusement sont morts pour la patrie, ont droit qu’avec respect la foule vienne et prie ».

Non, la France est occupée ailleurs. À entendre des vieilles rengaines, autour du cercueil d’un jeune homme tué par accident pour une cause dérisoire, et dont des petits politiciens usés jusqu’à la corde tentent d’enrôler la dépouille au service de leur médiocre cuisine. Alors, on ne nous parlera pas de Thomas Dupuy, ce qui n’a d’ailleurs aucune importance. Rémi Fraisse et lui étaient tous deux de Toulouse. L’analogie s’arrête là, tout les séparait. L’origine sociale, les idées, le rapport à la vie. De l’un on a fait un martyr, à l’autre on a vaguement rendu les honneurs, on n’est pas au Canada quand même1. Et il n’y a pas à les comparer, d’une certaine façon, c’est tant mieux. La France, étant sortie aujourd’hui de l’Histoire est plus économe de ses fils. On ne s’en plaindra pas.

Alors d’où vient ce léger malaise, ce pincement à soutenir le regard apaisé de ce sous-officier volontaire de l’armée française tué en service commandé ? C’est un parachutiste. Arme symbole de ceux qui n’ont pas froid aux yeux. Et les symboles, en ces temps de commémorations militaires, s’accrochent souvent à notre mémoire. Sa petite biographie nous apprend qu’il était un des rares spécialistes du saut avec ouverture en haute altitude. Sur la photo, il est dans un avion, harnaché pour le saut, son altimètre au poignet droit, calme et relaché avant de passer la porte pour le vide. Oui, mais les paras… On a quand même quelques mauvais souvenirs. De périodes où leurs comportements ne furent pas très glorieux. Où ils se laissèrent entraîner dans des aventures inquiétantes. Comme en 1958 ou en 1961, quand ils firent peur à la République. Cela peut provoquer quelques réserves. Mais on se rappellera alors le premier officier parachutiste français tué à l’ennemi. Il s’appelait André Zirnheld, Juif d’origine alsacienne dont les parents avaient choisi la France. Professeur de philosophie dans un lycée de Tunis, refusant la capitulation de 1940, parmi les premiers il rejoint la France libre. Demandant à être versé dans les fameux SAS qui opéraient sur les arrières de Rommel dans le désert libyen. Tué en mission le 27 juillet 1942, lui aussi mort dans la caillasse. Il sera fait Compagnon de la Libération à titre posthume. Ses camarades récupérant son barda, y retrouvèrent des textes et des carnets. Parmi eux la fameuse « prière du para ». Thomas Dupuy, probablement héritier de cette tradition n’avait pas choisi lui non plus « le repos ni la tranquillité, ni celle du corps ni celle de l’âme ».

Et c’est peut-être dans cette direction qu’il faut regarder pour comprendre. Voir ceux qui au moment de leur choix de vie ont fait celui de la France quitte à en mourir. Repasser par Toulouse, ville natale de Thomas Dupuy, mais de Mohamed Merah aussi. Se rappeler les noms des militaires assassinés par celui-ci : Imad Ibn Ziaten, Mohamed Farah Chamse-Dine Legouad, Abel Chennouf. À 20 ans, Thomas Dupuy était un gamin des cités. On trouve sur le net des photos et des vidéos de ses 20 ans. Champion de boxe thaïe (la plus dure), crâne rasé, on l’imagine facilement déambulant dans sa cité sous une capuche. Physiquement proche de Merah, il ne prendra pas le même chemin. Regardons maintenant la photo de l’avion. Il en émane une force et une plénitude dont il n’était pas sûr qu’elles adviendraient. Cette force n’est pas celle du boxeur, elle est celle de l’homme qui s’est accompli. Et cet accomplissement, c’est à la France qu’il le doit. Parce que la France, malgré sa déprime, son désarroi, malgré son identité malheureuse, est encore capable de faire ça. Comme elle l’a toujours fait, d’ailleurs, même si aujourd’hui c’est plus difficile. Alors, on va me dire que je récupère, que les barbares sont aux portes, et qu’arrive le grand remplacement. Eh bien non, il n’y aura pas de grand remplacement. Et oui, je les récupère, les Ziaten, Legouad, Chennouf, Dupuy et les autres. Car ils en témoignent.

Et si finalement, le trouble que l’on ressent à soutenir le regard de Thomas Dupuy, ce pincement de chagrin, ce n’était pas celui d’avoir perdu un frère?

*Photo : Armée de l’air.

  1. Les Canadiens ont rendu les honneurs à Nathan Cirilio abattu par un djihadiste. C’est beau une nation qui croit en elle

Régis de Castelnau

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