Sarkozy, justiciable d’exception.

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Quand il s’agit de l’ancien Président, inutile de s’embarrasser du respect des principes.

L’état d’urgence – instauré pour trois mois et que certains voudraient voir prolonger – est censé s’opposer à « l’État de droit ». La raison en est qu’essentiellement cet état d’exception, pour des motifs d’efficacité répressive, permet à l’autorité administrative des privautés avec les libertés publiques. Cependant, même en état d’urgence, tout n’est pas permis et l’État ne pourra agir que sous le contrôles du Parlement et de la justice. Autrement dit, les deux gardiens naturels des libertés publiques dans un « État de droit », autre nom de la société régulée par le droit, même quand celle-ci est en guerre, conservent de larges prérogatives.

Que depuis le vote de l’état d’urgence nombre de voix se soient élevées, s’inquiétant de son instauration, pour affirmer que nos libertés étaient menacées, rien n’est plus légitime. Or, si cette vigilance est indispensable, beaucoup de ceux qui s’en prévalent aujourd’hui ont été singulièrement muets dans d’autres circonstances où pour gravement les violer, on avait pourtant fait appel à celui qui en est quand même le gardien majeur, à savoir le juge. Leur sens de l’indignation serait-il à géométrie variable ?

J’avais déjà déploré la destruction totale du secret professionnel des avocats. Mais, en dehors des avocats eux-mêmes dont les organisations ont élevé la voix pour être aussitôt accusées « d’un corporatisme massif », pas grand monde n’a bougé. Pourtant, les atteintes étaient particulièrement sérieuses et il n’y avait pourtant pas, à ce moment-là, le moindre état d’urgence. Ah oui, pas d’état d’urgence, mais il y avait une autre circonstance. Les procédures concernaient Nicolas Sarkozy et quand c’est lui, on a le droit.

Un nouvel épisode assez croquignolet concernant l’ancien chef de l’État vient de trouver un terme provisoire devant le Conseil Constitutionnel. Dans la fameuse affaire « Azibert/Bismuth/Agenda », par la lecture du Monde informé régulièrement, on avait appris que Nicolas Sarkozy était accusé d’avoir corrompu un magistrat en retraite pour influencer la chambre criminelle de la Cour de Cassation pour que celle-ci lui restitue son agenda de Président de la République saisi – illégalement – dans l’affaire Bettencourt. Accusation passablement farfelue lorsque l’on connaît le fonctionnement de la Cour de Cassation, et quand on sait que finalement la Cour a refusé la restitution.

On a assisté cependant à un déploiement de moyens considérables. Deux magistrates ont été chargées de l’instruction, et les « deux dames » comme les appelle Sarkozy, n’ont pas chômé. Parmi bien d’autres institutions, elles ont ciblé les magistrats de la chambre criminelle. Probablement soucieuses de savoir si ceux-ci avait pu être approchés par Azibert, elles ont multiplié convocations et auditions, perquisitions, saisies d’ordinateurs, communication de fadettes et autres initiatives complètement disproportionnées. Ce zèle a créé, comme l’a rapporté Le Canard Enchaîné avec gourmandise, une ambiance assez lourde au palais. On apprend surtout à la lecture de l’hebdomadaire satirique que les magistrats auraient été cuisinés sur leur délibéré ayant abouti à leur décision de refus de restitution de l’agenda. Il est probable que les membres de la Cour de Cassation se rappelant le texte de leur serment ont été interloqués par la méthode : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». Ils savent que c’est un principe constitutionnellement protégé et connaissent le rappel du Conseil d’État du 17 novembre 2012: « le secret des délibérations dans les assemblées juridictionnelles est un principe général du droit public français; que ce principe a pour objet d’assurer l’indépendance des juges et l’autorité morale de leurs décisions; qu’il s’impose, dès lors, à toutes les juridictions ». Les « deux dames » le savent probablement aussi, mais quand il s’agit de Sarkozy, on ne va pas s’arrêter à ce genre de détail, n’est-ce pas?

Le bruit court que les auditions dans le bureau des juges d’instruction ont été marquées par un sévère refroidissement climatique. Et bien sûr les magistrats de la chambre criminelle ont refusé de trahir ce secret. Qu’à cela ne tienne, on raconte qu’elles auraient alors réclamé la copie du rapport du conseiller rapporteur. Il s’agit de la synthèse du dossier soumis à la juridiction présentée par un conseiller à ses collègues de la collégialité pour leur fournir les éléments du débat nécessaire au délibéré. Les juristes attentifs savent que le rapport fait partie de ce délibéré, et qu’il est donc soumis au secret. La question est tranchée depuis longtemps, à la fois par le Conseil Constitutionnel et par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Mais puisqu’on vous dit qu’il s’agit de Sarkozy ! Avec lui, si l’on respecte la Constitution, on ne va pas s’en sortir. Si l’on comprend bien, il a fallu passer par une Question Prioritaire de Constitutionnalité, et saisir le Conseil Constitutionnel pour que la cour suprême confirme à nouveau l’évidence. Ce qu’elle a fait en respectant, comme à son habitude, l’adage: « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ». Mais enfin, le principe est à nouveau rappelé, et il est applicable, même quand il s’agit de l’ancien Président de la République.

Le Monde nous apprend, par l’intermédiaire de ses duettistes revigorés par l’affaire Benzéma, que les magistrats instructeurs ont récemment convoqué Nicolas Sarkozy pour une audition, au cours de laquelle il serait resté muet. Oui, mais dites donc il y a un autre problème, puisque la procédure d’instruction dans ce dossier est suspendue depuis une décision de la chambre d’instruction de Paris il y a maintenant plus d’un an ! Aucun acte de cette nature ne peut normalement être actuellement accompli. Comment comprendre cette nouvelle violation des règles ? C’est très simple, dès lors qu’il s’agit de l’ancien Président de la république, on peut faire ce qu’on veut.

Curieux destin que celui de Nicolas Sarkozy, homme politique par ailleurs avocat. Voilà quelqu’un qui aura incontestablement fait évoluer le droit. Pas comme Président de la République ou ministre, mais comme justiciable.

 

Régis de Castelnau

1 Commentaire

  1. Bonjour,

    habituellement, je suis assez ravi des turpitudes judiciaires de notre ancien président. A lire votre blog, finalement on prend conscience que la justice pourrait être réellement instrumentalisée à des fins dont la noblesse laisse songeur. Autant le dire, de sensibilité de gauche, on se réjouit de voire ses préjugés vérifiés par une justice qui semble indépendante, et vos propos bousculent très fort notre croyance en cette indépendance…

    Néanmoins, là est ma question, cet acharnement n’est-il pas le revers de la médaille du statut du président voté par Sarkozy lui même ? Faites vous un lien entre d’un côté quelqu’un qui – peut être à bonne raison – a fait voté une forme d’impunité, et de l’autre qui rencontre ces manœuvres que vous décrivez comme assez basses ?

    En vous remerciant

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