« Tombes de Poilus en déshérence : j’irai entretenir vos tombes »

Samedi dernier, un parent m’informe qu’il a vu un reportage dans le journal télévisé de France 3 Hauts-de-France au sujet du maire d’un village de la Somme, Harbonnières, aurait l’intention de mettre en vente des tombes en déshérence de soldats français morts pendant la Grande Guerre dont les corps ont été rapatriés dans les caveaux familiaux à la demande exprès des familles dans les années 20. Étonné par la démarche, je fouille sur le web pour retrouver dans les nombreux « replay » disponibles le reportage en question pour tenter d’en savoir plus. Ma recherche m’amène sur le site « Francetvinfo.fr » où je découvre avec stupeur et colère la vidéo suivante : 

https://mobile.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/somme-des-tombes-civiles-de-poilus-a-vendre_3684359.html?fbclid=IwAR1ZKjV85kEK_abjPhuc7L_Yam0TrSjkVWc3Nlsxh0nU5zsb4FNvNMw4krY#xtref=http://m.facebook.com

Touché personnellement par cette problématique dans le village d’origine de mon arrière-grand-père paternel, toujours porté disparu depuis 1917, mon sang ne fait qu’un tour et je partage l’information sur les réseaux sociaux en invitant les personnes qui se sentent elles aussi touchées à se manifester, comme moi, dès le lundi matin (4 novembre) auprès du maire d’Harbonnières, M. Ventelon, pour lui manifester, poliment, courtoisement mais fermement notre mécontentement et éventuellement le contraindre à faire marche arrière. Lundi matin, dès 9h, je décroche mon téléphone et j’ai la chance d’avoir M. Ventelon immédiatement au téléphone. La conversation est « virile mais correcte » et après m’avoir écouté, le maire m’explique très rapidement que le Souvenir Français, qui gère l’entretien de 200 000 tombes en France mais aussi à l’étranger depuis 1887, soutient sa démarche. Première surprise. Devant mon étonnement le maire me dit qu’il est ouvert à toute proposition et qu’il est prêt à me rencontrer avec le délégué local du Souvenir Français, M. Gérard Thiery. Chiche ! Rendez-vous est donc pris à vendredi (8 novembre) en début d’après-midi pour faire toute la lumière sur cette histoire. 

Hier, 14h, j’arrive à la mairie d’Harbonnières où, comme convenu, MM. Ventelon et Thiery m’accueillent très chaleureusement pour discuter de cette affaire. M. Ventelon me retrace l’historique dont l’origine remonte à un courrier d’un habitant du Santerre, M. Xavier Chicandard, qu’il l’accuse de vouloir « vendre les concessions civiles » dans lesquelles reposent des corps de Poilus, pour mettre leurs glorieux restes « à la fosse commune ». M. Ventelon nie vouloir mettre les corps dans une fosse commune et M. Thiery m’explique qu’il s’agit de créer expressément un ossuaire dans le carré militaire municipal avec une plaque nominative pour chaque soldat en insistant sur le fait que sur les tombes en déshérence, parfois dangereuses parce qu’elles s’affaissent, leurs noms n’apparaissent plus dans de nombreux cas. Carré militaire dans lequel se déroule chaque année pour la Toussaint une cérémonie d’hommage aux « Morts pour la France ». Je trouve la démarche louable et je les interroge sur le silence du reportage sur cette partie de leur récit. D’une seule voix, mes deux interlocuteurs me disent avec surprise que le reportage mentionne bien cette idée. Devant ma surprise et mes dénégations, M. le maire ouvre son portable pour me montrer la vidéo suivante, qui elle, vient de la plate-forme internet de France 3 Hauts-de-France :

On voit clairement M. Thiery s’exprimer au nom du Souvenir Français au sujet de la création de cet ossuaire pour recueillir les glorieux restes de nos aînés afin de les honorer comme il se doit. Je réalise alors que le « re-montage » de la vidéo pour la plate-forme de « Francetvinfo » est à l’orignie du malaise, alors que le reportage initial permettait de comprendre d’une part, la démarche louable ET légale du maire d’Harbonnières, et d’autre part, de balayer rapidement du revers de la main l’accusation fallacieuse de M. Chicandard lorsqu’il déclare que les restes des Poilus vont finir « à la fosse commune » comme autrefois les corps des indigents. 

Cette affaire a en tout cas le mérite de souligner un problème majeur que les indignés de l’instant ne mesurent pas forcément : l’entretien des tombes des soldats français à l’extérieur des nécropoles nationales. Si la majorité de nos aînés tombés au champ d’honneur reposent dans les nécropoles nationales entretenues à perpétuité par l’Etat, environ 200 000 tombes de soldats tombés depuis 1870 sont à la charge des communes (carrés militaires municipaux) et/ou du Souvenir Français par que l’Etat n’a pas pu ou voulu créer de nécropoles nationales. Cette singularité française a un coût.  Le budget d’entretien est colossal par rapport aux moyens de certaines municipalités, et malgré les subventions, elles ne peuvent pas toujours de sanctuariser les tombes familiales en déshérence en les entretenant sur le seul budget municipal, comme c’est le cas à Harbonnières. Le soutien du Souvenir Français ne peut pas tout résoudre non plus, même si cette association patriotique forte de plus de 200 000 membres cotisants reçoit elle aussi des subventions des collectivités et de l’État et qu’elle est d’intérêt publique ce qui l’autorise notamment à lever des fonds via la quête du Bleuet de France. Comme le faisaient remarquer le maire d’Harbonnières et le délégué du Souvenir Français, la question des Poilus posée par cette affaire, nous invite, dès aujourd’hui, nous mobiliser pour les tombes en déshérence des soldats tombés pendant la Seconde Guerre mondiale avant son Centenaire qui approche à grands pas. Sinon, dans 20 ans, nous serons confrontés à la même problématique, à moins que dans un geste régalien, auquel je ne crois pas, l’État décide de reprendre toutes ces sépultures sans distinction à sa charge. Aussi, j’invite tous ceux qui le peuvent à prendre leur adhésion au Souvenir Français pour participer à l’entretien de ces sépultures et aussi pour se mobiliser à chaque événement patriotique pour vendre le Bleuet de France dont une partie des recettes est reversé au Souvenir Français pour l’entretien de ces tombes.

Sylvain Ferreira

5 Commentaires

  1. Monsieur,

    Mon grand-père a été tué en août 1914 à Thun l’Évêque. Il y était enseveli avec plusieurs de ses camarades. Pour autant que je le sache, ce sont des ulhans qui les ont sabrés, alors même qu’ils ne portaient pas d’armes puisqu’infirmiers…
    Ma mère avait une photographie de leurs sépultures au cimetière de Thun. Au début des années 1980, en déplacement dans le Nord, je me rendis dans cette petite ville pour saluer ce grand-père pour lequel ma mère n’avait jamais fait son deuil… Sa tombe et celles des autres soldats avaient disparu. À Thun, personne ne fut en mesure de me fournir la moindre information, pas même à la mairie du village. Personne ne se souvenait qu’on ait pu relever leurs cendres pour les transférer dans un mémorial ou autre. Je commençai des recherches auprès des ministères des Armées, des services d’anciens Combattants, sans succès, ni même de réponse.
    J’avais abandonné tout espoir de jamais m’incliner sur la tombe de ce grand-père. Ma maman nous quittait, toujours inconsolable, en 2004, à plus de 96 ans. Puis vers 2010, par le plus grand des hasards, je pus accéder à la copie de l’acte de décès du grand-père. Fort de ce document, j’écrivis au ministre de la Défense et des anciens Combattants pour avoir des indications sur le transfert de ses cendres -et celles de ses camarades- pour lequel nous n’avions jamais été informés. Quelque six ou huit mois plus tard, j’eus une réponse. Je pus ainsi remercier M. Longuet pour sa diligence.
    Mon grand-père repose à la nécropole d’Assevent, près de Maubeuge. Juste une plaque avec trois noms !
    Veuillez accepter mes sincères salutations.

  2. Je me demande où sont les ossements des 70.000 soldats romains tombés à la bataille de Cannes…

  3. Bonjour,
    Une petite erreur dans votre texte (très bien, par ailleurs), la quête du Bleuet de France est organisée par l’ONACVG (dépendant du secrétaire d’Etat à la Mémoire et aux anciens combattants) et sert aux soldats blessés et aux orphelins.
    Le Souvenir Français fait, quant à lui, une quête autour du 1er novembre souvent (mais pas uniquement) devant les cimetières.

  4. Bonjour’. En complément des précisions ci-dessus, il faut mentionner que les dépouilles des Morts pour la France, quand on les a retrouvées sur le champs de bataille, sont d’abord légalement inhumées au frais de l’Etat dans les nécropoles nationales crées et entretenues à cet effet. Or, dans les années qui ont suivi l’Armistice,de nombreuses familles ont forcé l’Etat à ouvrir la main et à leur restituer la dépouille de leur parent afin de l’inhumer dans le caveau ou au moins le cimetière familial. Et dans ce dernier cas, l’Etat se déchargeait sur la famille de la responsabilité de l’entretien de cette sépulture. Ce qui fut fait tant que des membres de ces familles résidaient à proximité, faute de quoi la sépulture tombait en déshérence et se signalait par son manque d’entretien. Ce cas de disparition de famille est assez fréquent actuellement, et même de plus en plus. Après avoir suivi la procédure légale, et recherché la trace éventuelle des familles héritières de cette responsabilité d’entretien, le maire peut en leur absence définitive se substituer à celles-ci, pour construire un caveau collectif comme décrit dans un autre commentaire, pour y réunir toutes les dépouilles reposant dans dans ces tombes en déshérence. Le Souvenir Français n’intervient qu’en conseil légal et soutien financier pour s’assurer du respect de ces procédures et de la qualité du monument collectif construit..

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