La Marseillaise, donc

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Objet de polémiques, objet de discorde à l’occasion desquelles les traits de l’époque se révèlent jusqu’à la caricature. Ignorance, malentendus, anathèmes et mauvaise foi font bon ménage. S’il est incontestable que le camp du bien a donné le la, lors du débat du mariage gay, ceux d’en face ne sont aujourd’hui pas en reste. Christiane Taubira vient d’en faire l’expérience, accusée de blasphème, à l’occasion d’un mauvais procès, pour n’avoir pas chanté la marseillaise lors d’une cérémonie. La vidéo témoigne que c’était ce qu’elle avait de mieux à faire. Mais comme elle a jugé bon de se justifier en faisant du Taubira, c’est-à-dire avec brutalité et suffisance, on aura du mal à la plaindre.

Lambert Wilson, que semble-t-il personne n’avait sonné, a voulu intervenir dans le débat avec la phrase suivante : «Je suis extrêmement énervé que personne ne dise qu’il est temps de changer les paroles de La Marseillaise qui sont d’un autre temps. Quand j’entends ‘Qu’un sang impur abreuve nos sillons’, je suis sidéré qu’on continue à chanter ça… les paroles sont épouvantables, sanguinaires, d’un autre temps, racistes et xénophobes. ». M. Wilson, ignorant qui n’a rien compris aux paroles de notre hymne et en particulier au sens de « sang impur », considère donc dans un parfait anachronisme que Rouget de L’Isle proposait de façon raciste et xénophobe d’égorger les noirs et les Arabes ? C’est original. L’envie compulsive de montrer que l’on appartient au camp du bien l’amène quand même à se ridiculiser sévèrement. On aurait envie dire, au comédien « extrêmement énervé », payé pour dire les textes des autres, d’éviter de déclamer les siens. Mais en fait, la phrase qui me vient à l’esprit est plutôt: « Monsieur, de quoi vous mêlez-vous ? »

Il s’agit de la Marseillaise, qui n’est pas seulement l’hymne de la république française, mais une chanson internationale qui fut le vecteur du message envoyé par le Peuple français d’abord à l’Europe puis à la planète entière au moment de la révolution de 1789. Nous n’en sommes pas les seuls propriétaires, son message (qui va bien au-delà de ses paroles) a une portée universelle. C’est celui de l’irruption du Peuple dans l’Histoire.  Notre pays y a fait de belles choses dans cette Histoire, parfois de moins belles ou de carrément laides. La Marseillaise symbolise probablement ce que nous avons fait de meilleur. Je comprends tout à fait que l’on puisse le discuter, mais c’est un fait. Quand on la chante, on chante la France, mais aussi le message. Et on la connaît partout, partout. C’est pour cela, que la proposition de M. Wilson d’en changer les paroles est si choquante. Nous n’en avons pas le droit, ce patrimoine est partagé bien au-delà de nos frontières. Comme le drapeau français. Ces trois couleurs qui ont inspiré les drapeaux du monde entier. Comme le dit Javier Cercas décrivant un combattant espagnol de la « Nueve » en 1942 : « un soldat seul dans un interminable désert ardent, brandissant le drapeau d’un pays qui n’est pas le sien, d’un pays qui est tous les pays à la fois et qui n’existe que parce que ce soldat brandit son drapeau renié »1. Cela vaut pour la Marseillaise comme le démontre cette fameuse séquence (sous-titres inutiles…) du film Casablanca.

C’est probablement pour cela, que le rapport à ce chant est quelque chose de très particulier. Les émotions qu’il procure se rattachent toujours à une histoire personnelle, à la nature des liens qui unissent à la France et son Histoire.

C’est Giap qui la fredonne à l’ambassade de France le 14 juillet 1989. C’est Baptiste Nyanga né à Kinshasa, magnifique troisième ligne, qui en larmes la chante à pleins poumons pour son retour en équipe de France. C’est Rouget de L’isle, notable alors rassis, qui s’inquiète des journées de juillet 1830 : « ça va mal, ils chantent la Marseillaise ».

C’est Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, Compagnon de la Libération dont la voix se brise lorsqu’il raconte son arrivée, à l’Olympia Hall à Londres, lui le militant de l’Action Française âgé de vingt ans. C’est le lieu de rassemblement de la poignée de français « qui ne s’étaient pas couchés devant l’ennemi » au début du mois de juillet 1940. De nuit, toutes les fenêtres éteintes. Qui s’allument les unes après les autres et des voix qui se répondent parlant du pays d’où elles viennent: Brest ! Concarneau ! Bayonne ! Rouen ! Paris ! Et la Marseillaise qui éclate. « La plus belle que j’ai jamais entendue ».

C’est un autre vieillard étincelant Jean Louis Crémieux-Brilhac qui raconte soixante-dix ans après. Prisonnier en Allemagne, il s’évade, part vers l’Est et se retrouve en Union soviétique. Arrestation et séjour à la Loubianka.  Après juin 41, Staline accepte de rendre ces hommes à ses nouveaux alliés et autorise leur départ pour Londres. Ils doivent embarquer à Arkhangelsk sur un navire canadien. Sur le quai, les gardes-chiourmes soviétiques font encore des histoires pour les laisser partir. Les soldats canadiens, du pont du navire, voyant les Français lancent une vibrante Marseillaise. Les gardes-chiourmes eux aussi la connaissent, ils se mettent au garde-à-vous et tout le monde embarque…

C’est Malika Sorel qui a ces mots : «Quant à moi, la Marseillaise m’a toujours remué les tripes. Dans mon cœur, la France est indissociable de la Marseillaise. Ses paroles portent la voix des aînés, de ceux qui nous ont précédés ». Personnellement, je sais que c’est l’universalité de son message qui provoque ce mélange d’émotion et de fierté quand je l’entends ou la chante.

L’existence de la dimension presque intime de ce rapport à la Marseillaise et de ce caractère universel a pour conséquence de rendre ces polémiques récurrentes dérisoires. La seule exigence que l’on peut avoir est celle du respect du symbole lié à son statut d’hymne national. Au-delà, c’est l’affaire de chacun. Je me fous radicalement que Benzema ne la chante pas sur un terrain de football.

En revanche j’interdis aux analphabètes tels Marie-Christine Blandin pour les Verts, Lambert Wilson pour les niais, et toutes ces pseudo-élites acculturées d’y toucher ou de demander qu’on y touche. La Marseillaise n’appartient à personne par ce qu’elle appartient à tout le monde.

  1. Les soldats de Salamine. Javier Cercas. Actes Sud 2001.

Régis de Castelnau

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