L’Émission politique sur France 2 : le pluralisme, pour quoi faire ?

Thomas Sotto journaliste audiovisuel qui officie sur le service public est semble-t-il un garçon charmant, mais il lui arrive de faire preuve d’une ignorance parfois épicée d’une touche d’arrogance. Voyons à quelle occasion il a laissé s’exprimer ces deux caractéristiques qu’il partage malheureusement avec beaucoup de ses confrères. Le chagrinant beaucoup, le Tribunal administratif de Paris, saisi séparément en référé par Benoît Hamont, Florian Philippot, et François Asselineau a ordonné lundi à France Télévisions d’inviter ces trois candidats déclarés aux élections européennes, au débat organisé jeudi 4 avril dans L’Émission politique sur France 2 entre les têtes de liste ou bien à une autre émission sur le sujet avant le 23 avril.

Thomas Sotto chargé d’animer l’émission en cause y a vu une atteinte « à la liberté de la presse » ajoutant : «La programmation de L’Émission politique ne regarde pas la justice». Bigre, que voilà de fortes paroles ! Et notre journaliste du service public audiovisuel de poursuivre en enfonçant le clou, probablement histoire de faire plaisir au magistrat qui a rendu une décision pourtant clairement motivée : «Aujourd’hui, il y a des gens qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. ». Non mais, c’est vrai ça ! C’est vous les contribuables qui payez, c’est vous les téléspectateurs qui regardez, c’est vous les tribunaux qui veillez au respect de la loi, mais c’est nous les journalistes qui commandons, et n’avons de compte à rendre à personne.

Eh bien on va décevoir Monsieur Sotto, et lui dire qu’il a tout faux. Cette façon de s’exprimer est particulièrement déplaisante et témoigne répétons-le d’une ignorance et d’une arrogance qui ne sont pas de mise. Il est loin d’être l’éditorialiste le plus déplaisant de la période, mais un retour à une forme de modestie républicaine ne serait pas de trop. Et puisqu’il ne semble pas connaître le cadre juridique dans lequel il exerce son métier qui est, on le rappelle une profession réglementée, nous allons tenter de le lui expliquer.

Et tout d’abord lui rappeler que le respect du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, est un principe constitutionnel, tout simplement. Parce qu’il s’agit d’une liberté fondamentale à laquelle il ne lui est pas permis tout compétent et brillant soit-il, d’en faire ce qu’il veut.

Ensuite lui rappeler aussi qu’il est journaliste sur le service public, ce qui lui impose des responsabilités particulières vis-à-vis du peuple français. Le Conseil constitutionnel a été très clair en 1986 puis en 1989 : « le respect du pluralisme est une des conditions de la démocratie » et que, plus largement, « le pluralisme « constitue le fondement de la démocratie ». Rien que pour cela, il semblerait que Monsieur Sotto devrait y réfléchir un peu, au lieu de revendiquer des prérogatives qui ne sont pas les siennes. Surtout que le respect de ce principe est particulièrement fondamental à l’approche d’un scrutin national. Pour en garantir la sincérité.

C’est bien évidemment ce que le législateur a prévu dans par la loi du 5 mars 2009 qui a réorganisé l’audiovisuel public suivie par un décret d’application qui a approuvé le cahier des charges de France Télévision. Lequel prévoit très explicitement l’obligation du pluralisme dans son article 2, dont on gage que pas grand monde parmi les journalistes de France Télévisions n’a dû le lire. Au passage on notera ironiquement que le même article prévoit que le groupe télévisuel public doit garantir « l’expression de tendances de caractère différent respectant l’impératif de l’honnêteté de l’information. » Sous la présidence de Delphine Ernotte grande amie d’Emmanuel Macron cette obligation légale issue de l’application d’un principe constitutionnel est constamment foulée aux pieds, transformant le service public en une sorte de perroquet du pouvoir macronien. Mais cela ne dispensait pas Thomas Sotto de la respecter à l’occasion de l’organisation de l’émission qu’il organise et anime.

Eh oui, parce que celui-ci a violé la loi en faisant le tri entre les candidats têtes de liste pour les élections européennes, et qu’en général, le viol de la loi relève de l’appréciation du juge. Je comprends qu’il puisse trouver cela terrible, mais nous sommes contraints de lui rappeler que quand on ne respecte pas la loi, cela « regarde » pas mal le juge quand même.

Rappelons enfin les conditions dans lesquelles le juge administratif est intervenu. Il a été saisi de ce que l’on appelle un « référé liberté », procédure particulièrement solennelle utilisable lorsqu’une liberté fondamentale est gravement et manifestement violée par la puissance publique ou l’un de ses instruments. Compte tenu de l’urgence qu’il y a à faire cesser cette violation, le juge doit statuer dans les 48 heures. La décision qui a été prise a été parfaitement motivée, et l’on peut en retrouver les termes sur le communiqué du Tribunal administratif.

« Le tribunal administratif a fait droit à ces demandes en estimant que les décisions de ne pas inviter ces trois candidats au débat du 4 avril sont susceptibles de porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le respect du principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion. »

Il serait peut-être utile que les journalistes comprennent qu’intervenir sur le Service public financé par les citoyens leur impose des responsabilités particulières. L’Émission politique n’est pas un débat sur une WebTV, ou sur Facebook, sur laquelle ne repose pas les obligations d’un cahier des charges particulier spécifiquement prévus par la loi.

Passons maintenant à l’arrogance dont Thomas Sotto a souhaité orner son ignorance du cadre juridique dans lequel il exerce son métier. Celle qu’il a exprimée avec cette phrase consternante : «  Aujourd’hui, il y a des gens qui se mêlent de ce qui ne les regardent pas. ».

Eh bien on va signaler à ce journaliste qui n’aime pas que l’on se mêle de ce qu’il considère être ses affaires et n’estime n’avoir aucun compte à rendre, que nous sommes en période électorale, ce qui dans une république démocratique est un moment très important. Et que les organes de contrôle mis en place, et en particulier le juge sont là pour veiller scrupuleusement à ce que l’on ne porte pas atteinte à la « sincérité du scrutin ». Il peut y avoir une Commission Nationale des Comptes de Campagne, un Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, mais au bout de la chaîne c’est toujours le juge qui au final vérifie si les principes et la loi ont été respectés et que dans ce cas on peut considérer l’élection légitime. Si n’est pas le cas, il a le pouvoir considérable d’annuler le scrutin et d’en provoquer un nouveau.

Et il se trouve que pour les élections européennes, ce sera le Conseil d’État, c’est-à-dire la juridiction administrative à laquelle appartient le Tribunal de Paris. Celui-là même à qui Thomas Sotto reproche de se mêler de ce qui ne le regarde pas. Hélas pour lui, ça le regarde, et il a accompli son devoir en veillant au respect des libertés fondamentales et notamment celle relative au pluralisme, essentiel à l’organisation de scrutins sincères et légitimes.

Notre pays traverse une phase délicate, probable conséquence des conditions anormales et non sanctionnées dans lesquelles s’est déroulée l’élection présidentielle de 2017. Le rejet d’Emmanuel Macron trouve aussi sa source dans le trouble qu’a laissé dans l’opinion l’arrivée au pouvoir d’un parfait inconnu, porté financé, et médiatisé par les grands intérêts. Depuis deux ans, la liberté d’expression a subi des attaques très inquiétantes, que ce soit par le vote de lois liberticides, ou la confiscation des grands médias par une certaine oligarchie. Et la couverture du mouvement des gilets jaunes a suscité rejet et rage dans l’opinion. Il ne serait pas sérieux de le nier, ou de le sous-estimer. Les journalistes et notamment ceux qui officient sur le service public seraient avisés de se rappeler quelle est leur mission et quels sont leurs devoirs.

Thomas Sotto est loin d’être le plus caricatural, mais sur le coup, il a probablement perdu une occasion de se taire.

Régis de Castelnau

26 Commentaires

  1. J’ai fait un rêve : qu’une chaîne d’info vous « embauchant » comme chroniqueur afin que vous puissiez mettre les points sur les « I » à nos journalistes (et aux téléspectateurs …. Mais ça n’arrivera pas hein ! 😭😭😭😭😭 Mon frère est journaliste (le chien bleu, journal satyrique qu’il a fondé en Nouvelle Calédonie . J’espère qu’il n’est pas aussi arrogant que certains de ses confrères

  2. Le journalisme est une profession réglementée, n’en déplaise à tous les Thomas Sotto du Paysage Audiovisuel Français. Un petit « PAF » thérapeutique dans la tronche de M. Sotto, administré amicalement et avec talent par Régis de Castelnau. Merci, Monsieur.

  3. Et comme par hasard, les trois candidats visés sont les seuls à proposer une remise en cause radicale de l’union européenne : Asselineau et Philippot par le frexit via l’article 50 du TUE et Hamon par son alliance avec Diem25 de Varoufakis qui, dans son innocence naïve, propose la démocratisation des institutions européennes. Cette démocratisation pensée par Varoufakis est censée éviter un retour aux nationalismes, qu’en bon Grec il craint par dessus tout car ce serait synonyme d’un retour du régime des colonels de 1967. Cependant, cette perspective est tout aussi inacceptable par les eurocrates, car elle démontrerait la perversité de leur système et en provoquerait l’effondrement, tout comme la glasnost de Gorbatchev a permis l’effondrement des institutions soviétiques.
    Et ce monsieur Sotto n’a rien dit, tout comme ses autres confrères de France 2, quand Philippe Verdier a été viré pour avoir publié une enquête susceptible de donner des arguments aux climato-sceptiques. Européisme et réchauffisme alarmiste, même combat ?

  4. Thomas Sotto est un mercenaire, tout comme M. Macron en est également un… à un autre niveau certes. Mercenaires de la ploutocratie financière qui dirige désormais le « monde libre » et impose sa loi du profit !

  5. CES JOURNALISTES NE DOUTENT DE RIEN !LA 2 EST DEVENUE LA VOIX DE Mr MACRON TOUS LES JOURS UN MINISTRE OU UN SUPLETIF DU PRESIDENT EST INVITE A 7H45 POUR EXPLIQUER LA BONNE PAROLE ! QUAND ON VOIE LE DERAPAGE DE jm APATHIE L’AUTRE JOUR FACE A UN INVITE QUI OSAIT CRITIQUER SA FACON DE COMMENTER L’ACTUALITE ET DE FAIRE SON METIER ON PEUT SE DIRE QUE CES GENS LA SE CROIENT MAINTENANT AU-DESSUS DE TOUT !IL EST VRAI QUE QUAND ON VOIT LEURS REVENUS IL EST FACILE DE COMPRENDRE DE QUEL COTE DE LA BARRIERE ILS SE SONT POSITIONNES ,DU COTE DES RICHES DES PREMIERS DE CORDE !

  6. Je découvre ici dans votre article l’arrogance inexcusable de cet éditorialiste, que je n’ai par ailleurs pas la « chance » de connaître. J’en suis consterné. Etant moi-même enseignant, je peux vous garantir que tout élève arrivé jusqu’en classe de 3ème se voit rabâcher cette obligation légale de pluralité dans les médias, et il me paraît invraisemblable qu’un journaliste parvenu assez haut pour animer des émissions politiques de grande portée l’ignore, ou feigne de l’ignorer. L’image des médias n’en sort, une fois de plus, pas grandie.

    Merci une fois de plus pour l’acuité dont vous faites preuve et l’excellence de vos analyses. Je rêve, comme dans un précédent commentaire, de vous voir prendre la place dans les médias de certains journalistes pour remettre quelques points sur les « i ».

    Une remarque toutefois, plusieurs fautes d’orthographe et de conjugaison émaillent l’article !

  7. Bonjour Maître

    Cela pourra peut-être vous apparaître comme un détail insignifiant mais vous serait-il possible d’enlever dans votre article – par ailleurs très profond et très intéressant -, le  »e » final au prénom d’ASSELINEAU.

    • Non, le Conseil d’État a fait comme d’habitude, il ne rend plus des ordonnances ou des arrêts, il rend des services au pouvoir en place. Et cela fait un moment que cela dure. Dire que le Conseil d’État rend la justice, c’est risible. Comme dans l’affaire Dieudonné ? Comme dans l’affaire du stade de Coubertin ? Comme dans l’affaire du Burkini ?

    • Le Conseil d’État (des tas?) est le bras armé du Pouvoir politique.
      N’ayez pas la naïveté d’attendre qu’il dise le droit quand cela va contrarier les Pouvoirs car il n’est bien sûr pas indépendant.

  8. Bon article mais quelle naïveté vis-à-vis du service public !
    Qu’il s’agisse de radio ou de télévision, il n’y a pas de pluralité dans le service public.
    France Inter par exemple est ouvertement une radio de gauche. Et ce avec l’argent des contribuables, de quelque bord politique qu’ils soient.
    Quand France Télévision finance et programme une « fiction » dans laquelle une institutrice héberge clandestinement des sans papiers; le moins qu’on puisse dire c’est que c’est orienté.
    Etc
    Cette absence de pluralité ne date pas d’Emmanuel Macron. Disons que le phénomène s’est accentué et que les rares « dissidents » ont été virés.

    • France infox de gauche j’ai manqué m’étouffer de rire. Dites-le donc aux gros marxistes léninistes genre Seux, Guetta, Enthoven, Salamé, Cohen et j’en oublie de libéraux ultra-droitiers qui s’ébattent joyeusement et à nos frais sur le service public.
      Un peu de sérieux svp ou alors vous êtes revenu récemment d’un long séjour sur mars…

  9. Excellent article comme d’habitude… qui vient d’être démenti par le Conseil d’État ! Expliquez moi pourquoi…

    • France Inter une radio d gauche ?

      je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer

    • Tous les gens que vous citez se disent de gauche.
      Maintenant si pour vous être de gauche, c’est être marxiste-léniniste, je comprends votre désarroi.

  10. Si je comprends bien votre thèse, chaque fois qu’une chaîne veut inviter des candidats, elle doit tous les inviter ? Et cela même en dehors de la période de campagne officielle (qui débute le 13 mai), dans laquelle nous ne sommes pas entrés ?
    Maître, je suis prêt à vous suivre sur pas mal de sujets, mais sur celui-ci il semble que vous ayez dégainé un peu vite !

  11. Et comme le rappelait de Gaulle : »Quand Vichy a institué l’étoile jaune, où était le Conseil d’État ? »

  12. Bravo ! Voilà un billet bien senti qui ramènera peut-être ce journaliste à de meilleurs sentiments. Je constate par contre que vous ne citez pas la Charte de Munich sur l’éthique journalistique. Pourquoi vous en dispensez-vous, Maître ?

  13. Je ne suis pas souvent d’accord avec R De Castelneau (vision trop collectiviste), mais il a l’immense mérite de s’exprimer. Oui une chaine doit inviter tous les candidats à s’exprimer. C’est ennuyeux pour certains mais c’est le principe, la démocratie se joue avant les urnes, il suffit de voir les pays dans lesquels le pouvoir se donne un mal fou pour bâillonner les candidats aux elections, ce qui en général est suivi par des fraudes et des scores pour le pouvoir ahurissant.

  14. Que pensez vous de la décision du conseil d ‘Etat à propos de ce sujet ? Je ne comprends pas

  15. Sotto est un zozo mais en attendant le Conseil d’État a annulé la décision du TA. Dans le communiqué du CE, le juge des référés a motivé sa décision en jugeant que le refus de France Télévision intervenait hors période électorale mais surtout que France Télévisions a une « politique éditoriale libre et indépendante, sous le contrôle du CSA »… C’est vrai, on le voit tous les jours à commencer par la nomination du PDG pas orientée politiquement du tout  De plus, ceux qui été déjà conviés «  expriment les grandes orientations de la vie politique nationale et se répartissent sur toute l’étendue de l’éventail politique… » Conclusion : les autres partis sont donc superflus et n’apportent rien. A lire cela, pour l’oligarchie, tout va bien, c’est le bonheur, c’est la confiance comme le pensent de leur fenêtre tous les dictateurs en place sur la planète.

  16. Le problème du Conseil d’Etat, c’est son manque d’indépendance intellectuel. Ce sont des enarques et certains hommes politiques y pantouflent. Il faut également rappeler que derrière les ministres (la plupart du temps incompétents) il y a les enarques dans les ministeres qui font le travail. C’est comme cela que la IV rep a tenu. Un système juridique (on le voit au Japon avec des regles du moyen âge) est le fruit de son histoire.

  17. Hélas le conseil d ‘état vous a donné tort cher maitre : ce dernier valide au nom de la liberté de la, presse, hors période électorale , la censure organisée , triste justice , triste tropique aurait dit Claude Levy Strauss

  18. Qui sait si Sotto, tout courroucé de se voir exceptionnellement « obligé à », ne trouve pas comme allant de soi d’être habituellement « l’obligé de » ?

  19. oui, par contre, quand la multiplication des candidats ne contribue pas au pluralisme des points de vue, quand on empile des gens qui pensent pareil, dont le seul objectif est d’être sur la photo, on peut peut-être se permettre de contester ce dispositif juridico-démocratique.

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