Yann Moix : un bonimenteur de foire médiatique ?

La rentrée littéraire et ses centaines de livres jetés à la criée et quasiment vendus au poids fait partie des grandes passions mais aussi des hystéries typiquement françaises. Dans une époque où la pratique de la lecture ne cesse de régresser, on ne saurait finalement s’en plaindre, non plus que du folklore qui l’accompagne. Les empoignades, scandales, ratages, consécrations auxquelles elle donne lieu avec sa ribambelle de prix littéraires en ligne de mire existent de longue date.

Cette année ne fait pas exception, à ceci près que dans « rentrée littéraire », normalement, le mot important c’est « littéraire ».

L’affaire Yann Moix, puisque c’en est devenu une de facto, est à interpréter comme un symptôme de différents phénomènes et d’un nombre incalculable de malentendus et de contresens, et c’est uniquement de ce point de vue qu’elle présente un quelconque intérêt.

Dans son dernier ouvrage intitulé Orléans –qu’il qualifie explicitement de « roman »-, l’auteur habitué des plateaux télé, du bruit médiatique et des clashs propices au buzz (celui-ci ne faisant en rien exception à son activité habituelle), y décrit ses souffrances d’enfant martyrisé, brutalisé, et tisse le récit de cette souffrance. Jusque-là, rien de bien nouveau en ces temps d’autofiction généralisée sur fond de posture victimaire. Dans la vague/vogue des Yann Moix, Christine Angot, Edouard Louis et compagnie, c’est un peu à qui décrochera le trophée de l’enfance la plus souffrante. Quand bien même, en dépit des règles du fameux « pacte autobiographique » mis naguère en lumière par Philippe Lejeune, ces auteurs-victimes présentent leur narration comme une fiction, il s’agit bien de faire commerce de l’étalage de son « misérable petit tas de secrets ». Certains, dans cet exercice, ont une puissance narrative et stylistique hors du commun, comme Emmanuel Carrère, et d’autres pataugent dans l’étalage du Moi(x).

Sur ces entrefaites, la famille de l’auteur s’est révoltée contre la manière peu flatteuse dont elle était ici dépeinte, un coup le frère qui explique que c’est au contraire Yann Moix qui le martyrisait avec une violence et un esprit de jalousie proche du magnifique et si mystérieux film Toto le héros, rejouant la rivalité d’Abel et Caïn avec toute son indémodable âpreté ; un coup c’est le père qui vient expliquer à la presse qu’il était effectivement du genre  sévère mais certainement pas de la manière abominable dont le décrit son médiatique fils ; un coup ce sont les amis ; on n’attend plus que le chien, la grand-mère et la boulangère et le tableau sera complet.

Or, on ne demande pas à un écrivain d’être moral, on ne lui demande surtout pas de revendiquer un discours de vérité, sauf à le faire avec la malice subtile et le fameux larvatus prodeo mis en lumière si superbement par Roland Barthes : « je m’avance en montrant mon masque du doigt ». Le problème dans cette affaire c’est que l’auteur Moix se construit précisément une image à travers ce récit qu’il présente comme celui, réel, de sa vie et que c’est de cette image qu’il joue pour se promouvoir. En somme, il joue sur les deux tableaux, celui de la complainte victimaire à la mode, et celui de la distanciation romanesque revendiquée (laquelle visiblement n’a trompé personne).

L’autre problème dans ces réactions et leur réception par l’opinion publique, c’est que, théoriquement, les affaires de la famille Moix ne devraient intéresser personne dans le cadre d’une rentrée littéraire, pas davantage que l’avis de Yann Moix sur les femmes de tel ou tel âge. Or, c’est bien la confusion des genres entretenue par l’auteur lui-même qui rend ensuite possible la bêtise consistant à traquer dans chacune de ses assertions et de ses phrases des signes de la réalité, de la vraie vie vraiment vécue. Cette maladie du témoignage à l’époque victimaire post-moderne, qui fait les ravages que l’on sait dans le domaine sociétal, s’étend donc à présent au champ dit littéraire.

Et à cette traque inepte, qui n’a aucun rapport avec un quelconque questionnement d’ordre littéraire c’est-à-dire stylistique, tous les moyens sont bons. A présent, ce sont des dessins antisémites datant de la jeunesse de l’auteur à qui l’on reproche sa lointaine connivence  avec Alain Soral et autres zigomards sulfureux du même acabit, qui sont exhumés, comme autant de preuves de l’immonde personnage qu’il est supposé être pour avoir peut-être menti et dissimulé d’affreuses pensées peccamineuses.

Et, là encore, ce sont deux nouveaux contresens qui sont commis. Celui qui consiste tout d’abord à croire qu’il suffit d’avoir un côté politiquement sulfureux pour répondre à la description malrucienne du « pauvre type mais grand écrivain » : car n’est pas Louis-Ferdinand Céline qui veut et il ne suffit pas d’avoir un passé vaguement antisémite ou azimuté pour posséder un style qui dynamite et révolutionne la langue française. Cela c’est pour le versant pseudo-libertaire de la réaction à cette affaire, celui qui se croit tellement rebelle en raison de l’aspect sulfureux de la révélation mais qui ne se posera pas une seule seconde la véritable question de la valeur stylistique et littéraire de l’ouvrage. L’autre contresens est celui qui va consister à crier à l’antisémitisme pour, pareillement, ne pas se prononcer sur l’oeuvre, résistants de pacotille croyant rejouer le procès de Brasillach.

Un auteur (écrivain ou simple écrivant ? cela, c’est toujours à la postérité et à elle seule de le dire) est libre, et il doit le rester. Il est libre d’être un sale type, d’être atrabilaire, d’être dépravé, d’être mythomane,  libre d’inventer n’importe quoi, il devrait (en dépit de dispositifs très liberticides sur le plan de la liberté d’expression) être libre de dire ce qu’il veut de sa vie, de ses proches, de ce qu’il a vécu, ou ressenti. La morale ne devrait rien avoir à faire avec la littérature.

Et si la question ici se pose avec autant d’acuité, c’est précisément parce qu’il ne s’agit pas de littérature, mais de psychanalyse familiale de supermarché sur fond d’autopromotion commerciale victimaire et véhémente, dont Yann Moix, parmi d’autres auteurs du même genre, s’est fait le principal bonimenteur de foire médiatique.

Pierre Michon, Pierre Bergounioux, Pascal Quignard, pour ne citer qu’eux, ne passent pas leur vie sur les plateaux télé. Ils œuvrent dans un certain silence du monde à triturer la langue, à la fouiller, à lui faire rendre son suc comme on le ferait d’un fruit,  à la mêler à leur vie mais dans une constante recherche poétique de re-création de la vie et du langage. Ils n’ont pas de temps à perdre à ces divertissements de seconde zone, et nous serions bien inspirés de suivre leur exemple.

Anne-Sophie Chazaud

19 Commentaires

  1. Bien sur que vous avez raison sur l’aspect « littéraire » de cette affaire mais pour moi, il était entendu que Yann Moix n’était pas un écrivain. Exit donc les commentaires sur la littérature. J’aurais plutôt attendu une critique sur la propension des media à s’emparer de chaque tempête dans un verre d’eau, même croupie, pour l’enfler et polluer le brouet « d’informations » qui est servi au public à longueur de journée. Je devrais plutôt dire que cette affaire ridicule fait partie de ce brouet sans saveur et sans idée. Et c’est justement parce qu’il est sans saveur et sans idée qu’il trouve tout un tas de zélés serviteurs dans la plupart des titres de la presse.

  2. Très bel article dont en particulier la conclusion est excellente par le rappel qu’elle fait des vrais talents; souvent loin des feux de la rampe et des paillettes des prix littéraires.

  3. En ces temps médiatiques, la douleur sert de ticket d’entrée au grotesque.
    Avec la bénédiction de Ruquier qui vous assure des abonnements plateaux télé, le tour est presque joué et la boursouflure du Moi (x) est garantie d’époque!

  4. De toute façon, tout ce qui compte pour Yann Moix, c’est qu’on parle de Yann Moix. En bien ou en mal, peu importe ! Et ça marche.
    Même sur ce blog………

  5. Au contraire, ce qui devrait être évacué ici, c’est l’aspect littéraire. Pourquoi parler des absents ? Moix ayant toujours écrit comme un pied, le seul intérêt de ce personnage est ce qu’il a vécu, ou non, et ce que son enfance en a fait, ou non. On met ça au rayon psychologie, on oublie ses écrits (ouf !) et on en tire des leçons profitables à toute la société – parce que les problèmes de violence domestique, ce n’est pas comme si nous n’en avions pas, et ce n’est pas comme si le dossier n’était pas resté trop longtemps en souffrance.

    Par ailleurs, toujours contrairement à ce que vous pensez, avoir du talent ne dispense pas de l’obligation socialement bénéfique d’être un humain digne de ce nom. Si encore, ces gougnafiers n’étaient pas des exemples… mais malheureusement, c’en sont. En conséquence, trop de mauvais écrivains, de mauvais artistes en tous genres pensent qu’il suffit d’être un pourri pour avoir du talent, ce qui explique la banqueroute morale des littérateurs salonnards français, et par contamination, de pas mal de journalistes, chroniqueurs à la BHL et autres bateleurs médiatiques à qui la sociopathie sert de passeport pour la gloire.

    Ce qui me rappelle ce qu’avait dit Noam Chomsky après sa rencontre avec Michel Foucault, « Je n’ai jamais rencontré personne d’aussi totalement amoral ». Or, les universités des USA ont porté Foucault aux nues… Mais, avec des « penseurs » comme ça pour la guider en endoctrinant ses étudiants, les futurs leaders du pays, la société devient le Titanic, non ?

    • « Avoir du talent ne dispense pas de l’obligation socialement bénéfique d’être un humain digne de ce nom ». Waouh ! Vraiment ? Il ne manque que la définition exacte d’un « humain digne de ce nom » et les sanctions applicables à ceux qui ne la respecteraient pas : interdiction de publication ? Ou juste de diffusion aux mineurs ? Non, mais sérieusement… Gide était une ordure, Baudelaire n’était guère fréquentable, la correspondance de Flaubert permet de deviner un type assez immonde et il se murmure même que Molière n’était pas un citoyen modèle. En quoi leur manquement à la norme « morale » rend il leurs oeuvres moins puissantes ? Un écrivain n’est pas un guide…

      Je vous rejoins en revanche entièrement pour dire qu’une « mauvaise vie » n’est pas la preuve d’un quelconque talent quel que soit le domaine artistique : s’il suffisait de suiffer trois grammes de coke par jour pour devenir Hendrix, ça se saurait… Pour reprendre la très jolie phrase de Natlhalie Baye, il vaut sans doute mieux « vivre en bourgeois et penser en artiste que le contraire ». Mais pour penser en artiste, il faut un minimum de don !

  6. vraie connasse parisienne qui vient critiquer le courage de parler d’un sujet tabou dont il serait grand temps qu’il soit abordé. Enfant et Adulte martyrisé, merci Yann Moix!

  7. A la suite du billet précédent, je renvoie à un commentaire que j’avais écrit sur un autre blog. Je montrais l’inculture historique de Yann Moix (sur la Révolution française et sur la république de Weimar avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir).
    On a le droit d’être nul en histoire. Mais, dans ce cas, on évite de « la ramener ». Moi, quand je ne maitrise pas un sujet, j’évite d’en parler. Moix (comme bon nombre de médiacrates) parle avec suffisance de ce qu’il ignore totalement.

    Concernant la polémique avec Michel Onfray, Régis de Castelnau avait écrit, en septembre 2015 (cf plus haut : « article similaires »), un article intitulé « Yann Moix, le bourgeois qui veut tout ôter au peuple ».
    Le « procureur » Moix y était assimilé à Vichynski, procureur des procès de Moscou (sous Staline) et à Freisler, juge au service d’Hitler.
    Certes, les conséquences ne sont pas aussi graves : les victimes de Vichynski recevaient une balle dans la nuque dans la prison Loubianka alors que les victimes de Freisler étaient pendues à un croc de boucher.

    Mais, au niveau du discours, Moix, face à Onfray, rappelait bien les 2 sinistres personnages ci-dessus.

  8. article nul et prétentieux ! l’auteur devrait repositionner ses mirettes en allant par exemple de temps à autre « chez Soral » ! un excellent sociologue, lui, toujours en avance sur la critique des phénomènes de mode …
    la seule question c’est : veulent-« ils » virer moix de la télé ? si oui, pourquoi ? perso j’ai pas encore vu la réponse !

    • @ SAHB

      A mon avis ce coup là est fort tordu et nous amène vers des perspectives inédites.
      Ruquier, ONPC, et Moix en particulier, ce sont les visages métapolitiques de la gauche sociétale, celle qui est passée sans état d’âme avec armes et bagages derrière Macron sous la bannière de l’antifascisme de salon.
      Sibeth NDiaye et Schiappa en sont le visage officiel et il ne m’étonnerait pas d’ailleurs que ces deux là ne finissent par rentrer dans le rang à brève échéance (électorale) pour la même raison. Ils commencent à devenir encombrants précisément si Macron veut élargir son noyau dur électoral.
      Tout cela arrive « en même temps » que l’étrange discours de Brégançon, dont certaines envolées à l’encontre de « l’état profond » et du mondialisme en général pourraient très bien figurer dans les articles de fonds du site de Soral et leurs alter ego d’extrême gauche.
      Après avoir siphonné la gauche social-démocrate par son ventre mou sociétal et la droite conservatrice en flattant son inclinaison pour la trique à l’endroit des pauvres en gilets jaunes, Macron a compris que son réservoir de voix se situait désormais dans cette vague souveraino-populiste montante -d’ailleurs largement enracinée dans la gauche d’avant la saga mitterrandienne.
      Cela a été bien vu par l’équipe du site Dedéfensa -Philippe Grasset et Nicolas Bonnal- ce dernier soulignant que cette nouvelle orientation présidentielle allait effectivement poser de gros problèmes à l’auberge espagnole populiste, laquelle pêche par son inorganisation nombriliste et satisfaite absolue.
      Bonnal pêche lui simplement par naïveté en donnant un crédit de sincérité à Macron (ou alors c’est son masochisme défaitiste indécrottable et littérairement très acté).
      Je crois au contraire que le « en même temps » de Macron -dont la perversité talentueuse est indéniable, il n’a pas été choisi par ses pairs pour rien- vise cette fois rien moins que rogner sur le marais populiste (je n’ose dire le camp) tout en ciblant ce qui pourrait donner la victoire à celui-ci un jour prochain.
      Il ne fait guère de doute pour moi en effet que ce qu’il désigne lui par « état profond » renvoie aux rouages muets de l’état, lesquels râlent en sous main face à la politique de largage de la souveraineté de la France, qu’il mène avec zèle dans la lignée de ses prédécesseurs (voir à ce sujet le commentaire très lucide qu’a fait un anonyme de l’article de Bonnal).
      Je reconnais que tout cela est cousu de fil translucide et qu’il faut se référer à certaines décisions de justice en cours pour vérifier que le « en même temps » de Macron ne perd pas le nord.
      Je pense bien sûr à l’invraisemblable jugement des identitaires de Gap dont il m’étonnerait que notre hôte ne tarde pas à s’offusquer par écrit.
      Il est sûr que des qui ne râlent pas à la politique de Macron, et sont même ravis de l’aubaine, sont les magistrats. Une tradition bien française si l’on se penche sur l’histoire récente.

    • Très bon commentaire auquel je souscris dans l’ensemble.

      Pour faire vite, la gauche libérale, après avoir tué le communisme banlieusard, a substitué le social par le sociétal et afin de servir le néolibéralisme galopant alors empêtré dans les conflits sociaux.
      Les officines proches du PS (Touche pas à mon pote, SOS racisme, LICRA etc…) furent donc les pierres angulaires quant à culpabiliser le peuple sur le plan sociétal, bien relayées par les médias subventionnés et Moix n’est qu’un de ces nombreux serviteurs zélés dans cet échiquier de cette propagande sociétale.

      Macron a été choisi par le système, comprendre La Banque, car il était le seul à permettre l’union de la bourgeoisie de droite et de gauche, condition nécessaire et suffisante quant à empêcher un scénario français à la Trump.
      Fillon n’avait pas le profil, il fut flinguer par l’état profond, comprendre celles et ceux qui oeuvrent pour les intérêts de la République dévoyée, bien au delà des clivages bidonnés que l’on offre au scrutin électoral pour faire croire qu’il y a du changement dans l’alternance alors que rien ne change.

      Pompidou, Mitterrand, Chirac, Sarko, Hollande, Macron, c’est une différence de degré et non de nature, comme dirait l’autre.

      La question de l’Euro, comprendre l’épargne des gagnants des trente glorieuses associée à celle des cadres sup de moins de 50 ans, fut donc la perte de la fille et donc la grande victoire de Macron, succès basé principalement sur la peur du saut vers le pseudo inconnu face à la puissance financière et économique des empires sino-US.

      C’est surtout la victoire de La Banque, qui et désormais, va jouer la carte du judéo-chrétien vs musulmans, du féminisme vs machisme, ce que certains nomment national-sionisme, afin de pérenniser sa position hégémonique dans les grandes métropoles.
      En effet, ses serviteurs étant tous sauf des imbéciles, récoltent donc maintenant les fruits des graines semées pendant 40 ans sur le terreau du choc des civilisations.
      C’est en cela qu’il faut comprendre le repositionnement de Macron dont vous vous faites l’écho, feindre un entrelacement idéologique avec le RN sur certains sujets liés au souverainisme voire à l’identité, il faut encore attendre pour cette dernière, afin de mieux protéger la République dévoyée face aux nationaux-populistes.

      La décision de justice du col de l’Echelle, très polarisante, démontre donc que si le politique est prêt pour cette nouvelle orientation, le judiciaire en est le garde-fou, à savoir qu’il balise idéologiquement et non juridiquement la frontière à ne pas dépasser, tout en clivant toujours plus et afin de permette au politique de manipuler encore plus.

  9. Lorsque j’entends l’évocation de Yann Moix, deux idées me viennent à l’esprit:

    1- Sacralisation de la victime. En 2019 pour avoir le droit de donner son avis il faut avoir été une victime.
    2- YM est un « intellectuel » dont la personne, le vécu est plus important que sa production intellectuelle elle-même. Le personnage est plus important que sa pensée.

    Triste France, triste période…

  10. On notera que, pour tenter de sauver son cul, avec la complicité de son copain Ruquier, Moix n’a pas hésité à venir manger sa propre merde à la petite cuillère devant tout le monde.

Laisser un commentaire