Cantonales et régionales : qui a peur du suffrage universel?

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« Le PS pessimiste sur les scrutins à venir ». Christophe Borgel, secrétaire à l’organisation du PS, chargé des élections, nous informe dans Le Figaro qu’après les municipales, il a retrouvé un peu de lucidité. J’avais rappelé dans ces colonnes qu’une simple projection des résultats des municipales impliquait la perte par les socialistes de la totalité des régions et de 30 départements sur 60, en 2015.

Avec un cynisme, une absence de vergogne, et une mauvaise foi absolument sidérants, la présidence normale vient de nous concocter, la bouche en cœur, une fort jolie magouille. Ceux qui s’intéressent à l’histoire et aux sciences politiques, et qui pensaient  avoir tout vu, en sont pour leurs frais. Enfoncé le petit père Queuille et sa loi sur « les apparentements » qui permit d’éviter au début des années 50 l’arrivée massive de députés RPF au Parlement. Petit  joueur François Mitterrand et sa proportionnelle intégrale de 1986 qui permit d’épargner à la gauche une trop importante défaite, mais surtout une arrivée en nombre de députés Front national histoire d’emmerder la droite.

Pour les têtes pensantes de l’Élysée et de Matignon, l’objectif est de conserver le plus longtemps possible les 60 Départements et les 26 Régions contrôlées par la gauche. Il faut garder cette base matérielle, les capacités financières, les emplois induits, tout ce qui permet d’assurer, après la catastrophe municipale un reste d’infrastructure territoriale au Parti Socialiste. Et puis aussi, calmer les élus locaux, et les permanents qui constatent que la présidence Hollande se transforme pour eux en course à l’abîme, et en aller simple pour Pôle emploi.

Premier temps, dans son discours de politique générale, Manuel Valls annonce une grande réforme territoriale. Regroupement des Régions pour passer de 28 à une douzaine. Sur la base du volontariat et à l’échéance 2017. Suppression des Départements à l’échéance 2021. Depuis hier, ce calendrier est bouleversé. Il faut que tout soit bouclé en 2016 ! Et la conséquence, nous dit le Président, c’est un report de ces élections locales en attendant la mise en place de la réforme. Pardi ! Quand à discuter avec des exécutifs régionaux, autant que ce soit avec nos amis élus neuf ans avant (!). Ce sera plus simple. Comme ça quand on sera contraint de passer la main, on refourguera de nouveaux engins qu’on aura démantibulés. Quant aux départements, on les garde jusqu’à ce qu’ils soient supprimés.

Quelques petites observations techniques. Ce n’est pas la première fois que la durée des mandats est modifiée en cours de route. Tout d’abord, hormis le cas particulier de l’Assemblée nationale qui peut être dissoute et des élections partielles ponctuelles, toute modification doit être exceptionnelle. En effet, lorsqu’il exerce sa souveraineté, le peuple doit savoir pour quelle durée il donne mandat à ses représentants. Première règle, il n’est pas possible de les raccourcir. On peut les allonger, mais à la marge et à condition d’avoir une bonne raison. Je suppose que l’on va nous ressortir l’exemple Pasqua de 1995 et Raffarin de 2004. Cela n’avait rien à voir. En 1995 il s’agissait d’éviter le chevauchement des présidentielles et des municipales. Celles-ci furent reportées à septembre. Allongeant de cinq mois le mandat de six ans … En 2004, Jean-Pierre Raffarin, s’inquiétant (trois ans avant) de ce que le printemps 2007 aurait vu des élections présidentielles, municipales, régionales et cantonales, avait jugé qu’il était souhaitable de prolonger d’un an le mandat des collectivités territoriales pour éviter la confusion. C’était assez raisonnable, ce qui n’empêcha pas François Hollande de tonner contre cette abominable atteinte à la démocratie. Rappelons également, qu’une des premières mesures prises par la gauche en 2012 fut de découpler les municipales de 2014 et les régionales et cantonales. L’utilité ne sautait pas aux yeux, le précédent de 2008 démontrant que cela pouvait très bien se passer. Mais déjà, il s’agissait de conserver un an de plus, soit en tout  7 ans, son hégémonie sur les conseils régionaux et généraux. Et là, on nous dit que ce serait de bonne politique de les porter à huit, voir à neuf… En omettant de rappeler au passage, que pour supprimer les départements il faudra modifier la constitution, et que, comme le dit élégamment Jean-Claude Gaudin sur ce point les socialistes pourront se brosser avec un oursin. Quant au changement des règles du jeu moins d’un an avant l’échéance, il n’est pas sûr que cela enchante le Conseil Constitutionnel.

Peut-on mieux se moquer du monde, se défier du suffrage universel, en affichant un tel cynisme et une telle absence de principes ?

Oui, oui, on peut. Hier, dans les bruits de l’orchestre, une petite information est passée inaperçue. Pierre Moscovici, brillant ministre des finances récemment éconduit, rêve de rejoindre la Commission Européenne à Bruxelles. L’inconvénient de l’éloignement du Café de Flore où il a la réputation de passer le plus clair de son temps semble devoir être surmonté. En revanche, les conséquences juridiques de son départ sont plus ennuyeuses. Un commissaire européen ne peut pas être en même temps parlementaire. Donc Moscovici devrait démissionner. Ce qui veut dire élection partielle, gamelle probable, et majorité socialiste encore plus brinquebalante. Comment faire ? Quelqu’un a eu une idée lumineuse. Si Pierre Moscovici est nommé parlementaire en mission par le Premier ministre, et que cette mission dure plus de six mois, son suppléant siège définitivement au Parlement, plus de partielle. Parfait, Manuel Valls a donc chargé notre aspirant commissaire d’une mission d’une durée supérieure à six mois. L’histoire ne dit pas quel est le contenu de cette mission et si elle sera rémunérée (en général c’est la règle). Le beurre, l’argent du beurre, la crémière et son chat, pourquoi se gêner ?

Le camp du Bien ne va quand même pas s’encombrer d’un peu de morale

Régis de Castelnau

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