Zemmour, réponse d’Olivier Berruyer

olivier-berruyer-biographie

Je m’étais permis de publier un texte sur les prises de position d’Olivier Berruyer sur son site « les crises » à propos des débats médiatiques concernant Éric Zemmour au moment de la publication de son dernier livre. Au-delà du caractère polémique, souvent présent sous ma plume malgré de gros efforts pour rester factuel, documenté et de bonne foi, la question de fond que soulevait ce texte était celle de savoir si la lutte contre Éric Zemmour et ses idées, parfaitement légitime, devait emprunter les voies d’un appel au juge pénal. Olivier Berruyer contrarié par mon article qu’il a trouvé dur a souhaité me répondre. Il a bien fait, rien ne vaut un bon débat.

On trouvera donc ci-dessous sa réponse. Je la ferai suivre de quelques observations.

 

M De Castelnau,

Comme vous me consacrez un billet, je me permets de vous répondre sur quelques points.

Sur la loi contre l’apologie sur le terrorisme :

1/ Le 2 novembre 2014, je dénonçais dans ce billet comme beaucoup le transfert du délit d’apologie du terrorisme du droit de la presse dans le code pénal, puis dans 7 articles au 1er trimestre 2015 je dénonçais l’application délirante de cette loi, vendue comme la lutte contre Daech, et entrainant de la prison ferme pour des handicapés mentaux ou des propos tenus en état d’ébriété

2/ je suis donc contre cette loi, point final. Mais c’est désormais la loi en France, et en bons Républicains, nous nous devons de nous y conformer.

3/ par ailleurs, comme vous le notez, j’ai dénoncé l’absence de réactions face aux propos d’Éric Zemmour, rentrant, pour moi, dans la cadre d’incitation à la haine. C’est discutable, mais ce n’est ni à moi ni à vous de dire le droit, mais à la Justice. Encore faut-il qu’elle soit saisie, ce que le gouvernement a refusé de faire – après le spectacle dont on se rappelle au moment de l’affaire Dieudonné

4/ du coup, j’ai été surpris de voir que M. Zemmour tenait des propos pouvant rentrant dans la catégorie jurisprudentielle de l’apologie du terrorisme – j’avais aussi été scandalisé du traitement Rouillan. Mon billet était très factuel, intitulé « Tiens, Zemmour flirte avec l’apologie du terrorisme maintenant… » se concluant par « Mais après il faut être cohérent : ou bien le gouvernement libère immédiatement Rouillan, ou il condamne Zemmour à (au moins) une amende… » – ce qui transparait peu dans votre article où vous concluez par un stupéfiant « pour faire embastiller l’agitateur obsessionnel. ».

5/ Vous dites : « « Mais maintenant, si j’appelle toujours à modifier radicalement cette loi, Dura Lex Sed Lex, elle doit s’appliquer à tous de la même façon. » Ignorance juridique et populisme judiciaire ». J’ignorais ainsi que les lois devaient s’appliquer à la tête du client pour des faits identiques. Merci donc – je ne suis pas avocat il est vrai. En tous cas, il semble que le parquet de Paris ait jugé bon d’ouvrir une enquête préliminaire.

6/ Vous parlez de : « invoquer la mauvaise et à mon avis illégale décision rendue à l’égard de Jean-Marc Rouillan » ; « Décision déplorable constituant une atteinte à la liberté d’expression. » « décisions anormales, pour rester poli, prises dans l’urgence et sous le coup de l’émotion pour apaiser l’opinion publique. De la mauvaise justice donc. » « Les excès d’application du texte, ne sont pas dus à la loi elle-même, mais à la jurisprudence. »

Donc finalement on a une justice qui rend régulièrement des décisions « illégales », « déplorables », « anormales », « mauvaises », « excessives » – mais c’est donc moi que me « fout du monde », et pas la gouvernement ou les juges – ok…

7/ « sur le caractère absurde de cette accusation qui fait d’Éric Zemmour islamophobe assumé un partisan du djihad. » Il n’y a rien d’absurde là-dedans. Personne n’a dit qu’il était partisan du djihad, cela a été la propagande de ses défenseurs. Mais il a en revanche présenté de façon positive les djihadistes, ce que la jurisprudence condamne. Et accessoirement, c’est en effet dangereux – même si cela relève de l’opinion. Si on commence à laisser dire que « les kamikazes sont des gens très courageux, prêts à mourir pour une cause, mais qui font des choses horribles, » cela peut inciter à passer à l’acte.

8/ pour le classique et paranoïaque (comme chez presque tous les défenseurs de Zemmour) « censeur », « en appeler aux flics pour faire taire ses adversaires cela fait un peu désordre. » : il n’a jamais été question de faire taire M. Zemmour, qui s’exprime en long, large et travers sur toutes les ondes du pays. Donc Liberté d’expression, il y a eu, et pas qu’un peu. Le temps est donc aux conséquences.

Je défendrai d’ailleurs le droit général de M.  Zemmour de s’exprimer (en écrivant des livres ou tenant un blog par exemple), mais ensuite il faut assumer et répondre de ses propos devant la justice – ce dont M. Zemmour semble étrangement exonéré contrairement à d’autres, et on voit qu’il vous semble même scandaleux que je le demande. 

Ce qui ne vous empêche pas de conclure par un orwellien « libertés publiques. Qui ne sont pas à géométrie variable suivant les personnes concernées. » Vous expliquerez donc ça à Rouillan (qui dort toujours en prison pour les mêmes propos que Zemmour) ou Dieudonné, je suis sûr qu’ils apprécieront.

Au vu de ceci, au-delà de notre désaccord « politique », je ne peux que vous faire part de ma déception de voir qu’un célèbre avocat comme vous ait choisi un tel titre pour votre billet sur une légitime dispute…

Cordialement

Olivier Berruyer

 

J’ai dit le bien que je pensais d’Olivier Berruyer mais si je reconnais qu’il me surclasse sur les terrains économique et financier, c’est peut-être un peu moins vrai sur le terrain juridique. Je vais donc répondre sur les deux points qui me semblent le fond de notre désaccord. Au préalable, au détour d’une phrase j’ai l’impression qu’il me présente comme un « défenseur » d’Éric Zemmour, ceux qui me connaissent savent que c’est une erreur, comme en témoignent l’article publié sur notre site, et un statut Facebook on ne peut plus clair. Par ailleurs, j’ai nettement critiqué la condamnation injuste subie par Jean-Marc Rouillan, et le traitement infligé à la liberté d’expression de Dieudonné.

OB: Vous dites : « « Mais maintenant, si j’appelle toujours à modifier radicalement cette loi, Dura Lex Sed Lex, elle doit s’appliquer à tous de la même façon. » Ignorance juridique et populisme judiciaire ». J’ignorais ainsi que les lois devaient s’appliquer à la tête du client pour des faits identiques. Merci donc – je ne suis pas avocat il est vrai. En tous cas, il semble que le parquet de Paris ait jugé bon d’ouvrir une enquête préliminaire.

L’ouverture instantanée d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris n’établit en rien la bonne foi de celui-ci, et la valeur juridique des incriminations qu’il envisage. Et à mon avis il agit sur ordre de la place Vendôme. Ce n’est pas nécessairement bon signe pour le respect de la liberté d’expression que cette célérité. Mais l’important est bien évidemment qu’en matière pénale, oui « les lois doivent s’appliquer à la tête du client pour des faits identiques ». Cela s’appelle l’opportunité des poursuites à la discrétion du parquet en fonction des circonstances. Un exemple et un chiffre, en 1995 le parquet de Paris, avait constaté la commission de toute une série d’infractions par Alain Juppé alors premier ministre dans les procédures d’attribution de logements du domaine privé de la Ville de Paris à lui-même et sa famille. Le procureur a renoncé à exercer des poursuites à la condition qu’il déménage de son logement de la rue Jacob irrégulièrement occupé (ne voir aucune malice dans le choix de cet exemple…). Et le chiffre, en France chaque année ce sont  1,5 millions  d’infractions avec auteurs connus qui ne sont pas poursuivies…

Ensuite il y a également ce que l’on appelle « la personnalisation de la peine ». Le juge doit fixer celle-ci en fonction de qui il juge. Ce qui explique l’interdiction constitutionnelle des peines automatiques. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’expression « à la tête du client » est un principe du droit pénal.

 

OB: Vous parlez de : « invoquer la mauvaise et à mon avis illégale décision rendue à l’égard de Jean-Marc Rouillan » ; « Décision déplorable constituant une atteinte à la liberté d’expression. » « décisions anormales, pour rester poli, prises dans l’urgence et sous le coup de l’émotion pour apaiser l’opinion publique. De la mauvaise justice donc. » « Les excès d’application du texte, ne sont pas dus à la loi elle-même, mais à la jurisprudence. »

Donc finalement on a une justice qui rend régulièrement des décisions « illégales », « déplorables », « anormales », « mauvaises », « excessives » – mais c’est donc moi que me « fout du monde », et pas la gouvernement ou les juges – ok

Oui oui, la justice produit régulièrement des décisions illégales déplorables etc. etc. pour la bonne raison qu’elle est rendue par des hommes faillibles et que c’est pour cela que l’on a inventé des règles de procédure telle que la collégialité, le double degré de juridiction et surtout la Cour de Cassation qui va juger précisément de la « légalité » des décisions. Il y a donc suivant le point de vue d’où l’on se place des bonnes et des mauvaises décisions…

 

 

 

Régis de Castelnau

1 Commentaire

Laisser un commentaire