Pétition Sarah Halimi : fausse route et initiative malvenue

Malvenue. C’est le premier mot qui vient à l’esprit pour qualifier la démarche entreprise par un certain nombre d’intellectuels de publier une tribune demandant que l’auteur du meurtre atroce de Sarah Halimi ne soit pas déclaré irresponsable par la justice pénale. Cette initiative est effectivement pour le moins intempestive et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la lecture du texte montre bien la cause que les signataires entendent servir, celle de la lutte contre l’antisémitisme musulman. Combat nécessaire s’il en est mais qui ne passe pas par une volonté d’instrumentaliser la justice à son service, meilleur moyen de ne pas poser les vrais problèmes et en lui reprochant une position de complaisance, vis-à-vis des dérives islamistes, et un refus de prendre en compte leurs dimensions spécifiquement antisémites.

Rappelant que ce n’est pas la première tentative de faire pression sur la justice dans ce dossier, le texte de la pétition contribue à faire de la procédure judiciaire l’otage d’un combat politique non seulement légitime mais nécessaire. Il faut rappeler que l’espace où doit se dérouler impérativement une procédure pénale est celui du prétoire, avec les règles qui s’y appliquent et qui sont destinées à faire émerger autant que faire se peut une vérité judiciaire support d’une décision rendue au nom du peuple français et opposable à tous. Prenant la forme d’un réquisitoire, nécessairement unilatéral,  choisissant les détails, multipliant les sous-entendus sur l’attitude des magistrats et de la police de quartier intervenue ce jour-là, la pétition nous présente l’affaire pour soutenir une cause : que Kobili Traoré soit déclaré responsable de ses actes traduit et jugé en cours d’assises. Ainsi « existerait-il un espoir que justice soit rendue à Sarah Halimi, victime d’un crime antisémite barbare. » Toutes les péripéties de la procédure, dont on rappelle qu’elle est contradictoire et qu’y interviennent le parquet autorité de poursuite, la défense, et les parties civiles, sont présentées comme autant de tentatives pour ménager et exonérer celui qui a tué Sarah Halimi. Il y a même des détails étranges sur la façon dont sont rapportées les expertises psychiatriques pourtant essentielles. Tout d’abord, le premier expert intervenu est nommé par les signataires, il s’agit de Daniel Zagury psychiatre brillant et très médiatique, comme s’il s’agissait de faire valoir à cette occasion une forme d’argument d’autorité. La pétition nous dit « qu’une expertise réalisée par Daniel Zagury rendue au bout de six mois établissait que K.Traoré avait fait une bouffée délirante aiguë (BDA) suite à une consommation massive de cannabis. Il conclut à l’altération du discernement, mais à une responsabilité pénale ». C’est l’article 122–1 du code pénal qui traite la question et des conditions dans lesquelles un accusé peut être déclaré irresponsable. Parlant d’abolition du discernement l’alinéa premier de cet article nous dit « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le deuxième alinéa quant à lui traite de l’atténuation de la responsabilité et par conséquent de la peine en cas d’altération du discernement. C’est le choix de l’altération qu’a fait en conscience le Docteur Zagury. Le départ entre l’abolition et l’altération est une question très délicate à trancher, surtout lorsque l’on instruit et ensuite juge une affaire criminelle qui a par surcroît a donné lieu à beaucoup de passion. Les magistrats instructeurs ont souhaité avoir un nouvel avis, et il n’est pas très honnête de présenter cette initiative de procédure comme incongrue et probablement dictée par la volonté d’épargner Kobili Traoré. «Cette expertise n’a pas l’heur de plaire à la juge d’instruction qui en ordonne une seconde ; requête provenant usuellement de l’avocat de la défense qui ici n’avait rien demandé. » Une seconde expertise a donc été ordonnée et réalisée cette fois-ci par un collège de trois experts, qui eux ne seront pas nommés dans la pétition et ont tranché en faveur de l’abolition. Face à deux avis divergents, une troisième expertise a été ordonnée et confiée à un collège de quatre experts cette fois-ci qui ont à nouveau choisi l’abolition du discernement. Et pour disqualifier l’avis de ces sept experts assermentés, les pétitionnaires s’improvisent psychiatres et nous expliquent à quel moment on peut considérer que quelqu’un est schizophrène.

Je ne peux pas dire si Kobili Traoré avait son discernement aboli ou seulement altéré au moment où il accomplissait son immonde forfait, je n’ai pas les compétences pour en savoir. Je m’en remets au traitement par la justice de mon pays de cette épouvantable affaire. Il appartiendra aux magistrats en charge de ce dossier, le collège des juges d’instruction, la collégialité de la chambre d’instruction, et éventuellement la collégialité de la cour d’assises, de prendre leurs responsabilités et de trancher la question de cette responsabilité pénale. Parce que c’est comme ça que cela doit se passer, et que le lieu pour statuer sur cette question, dans un pays civilisé, c’est le prétoire et non pas l’espace médiatique aussi prestigieux soit les signataires de pétitions. Les règles du débat contradictoire sont là pour ça, et il n’est pas très heureux de se livrer à cette pression sur une justice dont on nous serine par ailleurs qu’elle doit être indépendante et surtout impartiale. Il faut rappeler encore et encore que l’autorité judiciaire ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées, et que dès lors qu’on lui assigne des objectifs qui ne sont pas les siens cela ne peut qu’aboutir à la détourner de sa mission.

On ajoutera que cette pression est aussi une façon de se défausser sur la justice du traitement et de la réponse à une question particulièrement brûlante exprimée d’ailleurs par le texte même de la pétition : « Quatre experts ont rendu mi-mars 2019 leurs conclusions corroborant la seconde expertise. En France, aujourd’hui, être juif serait-il une incitation au meurtre pour des déséquilibrés psychiatriques ? S’agit-il de préparer l’opinion à une réinterprétation de la dizaine d’assassinats de Français juifs par des islamistes ? La psychiatrisation est-elle le nouvel outil du déni de réalité ? » On répondra que oui il est évident que les islamistes et leurs pulsions barbares sont des déséquilibrés. Et qu’il est indispensable de s’interroger sur la tournure pathogène et criminalisante qu’a pris aux quatre coins du monde la religion musulmane. Sur le rôle, dans le passage à l’acte criminel, de l’interprétation littérale du Coran, recueil qu’on le veuille ou non d’interdits et d’injonctions à respecter sous peine de terribles punitions.
Et, plutôt que faire à grand bruit pression sur la justice , il vaudrait mieux prendre cette question à bras-le-corps, sans se laisser intimider par le « pas d’amalgame » et la crainte de l’accusation « d’islamophobie ».

 Parce qu’accuser la justice d’utiliser la psychiatrisation comme nouvel outil du déni de réalité c’est se dispenser à peu de frais de mener le combat là où il doit l’être. Et le faire en présentant l’application de l’article 122–1, ce qui est un mensonge, comme un passeport pour l’impunité n’est pas non plus très reluisant. Comme laisser entendre que ce serait cet objectif qui aurait amené les sept psychiatres à émettre leur avis. Ce n’est pas très glorieux non plus de disqualifier également au passage ce qui constitue un principe fondamental de la responsabilité pénale : ne sont responsables pénalement que les individus conscients de leurs actes. Les Romains l’appliquaient, et le fait qu’au Moyen Âge on jugeait les animaux ne constituait pas un progrès.

 C’est aujourd’hui un acquis de civilisation. Et il serait raisonnable en ces temps difficiles d’éviter la désinvolture lorsqu’il s’agit du respect de principes séculaires.

Régis de Castelnau

17 Commentaires

  1. Brillant !

    Aussi imparable et rigoureux que votre remarquable chronique sur le cas de Mme Sauvage.
    Que j’avais lue avec d’autant plus de délectation que je finissais par me sentir un peu seul, avec la vague impression d’être un salaud incompréhensif pris dans une nasse de bons sentiments.

    Exercice difficile que de sembler aller contre la juste lutte contre l’antisémitisme, alors que tel n’est absolument pas le cas.

    L’auteur des faits, comme malheureusement bon nombre de ses coreligionnaires, est probablement imprégné d’un antisémitisme, tant cultuel que socio-culturel. Mais son acte, lors de sa commission, est celui d’un dément.

    Et, ce n’est pas si souvent le cas, les experts s’accordent tous sur ce point. Étant entendu qu’entre l’altération et l’abolition, la frontière, à la supposer vraiment existante, est affaire de nuances.

    Ne demandons à la justice, ni de défendre une cause légitime, ni d’être exemplaire. Contentons-nous d’espérer qu’elle soit impartiale.

    Merci pour cet article.

  2. Cette tribune est tout bonnement ahurissante.
    Et il est drôlement inquiétant que des intellectuels se croient autorisés à intervenir pour faire pression sur la justice, en l’instrumentalisant de la sorte.
    Et quand on sait par ailleurs à quel point il est exceptionnel que les experts psychiatres concluent à l’abolition du discernement … cela constitue, au passage, une nouvelle dérive sécuritaire affolante : voilà que des intellectuels veulent juger les fous … et s’arrogent le droit de dire qui l’est.
    On marche vraiment sur la tête !

  3. Bonjour,

    Rigoureux exposé qui démontre une fois de plus que le droit est certainement la matière la plus méconnue et des journalistes et de beaucoup de politiques et de nombreux intellectuels. Sans compter.
    Les rudiments du droit devraient être enseignés dès le collège, l’humanisme de la nation y gagnerait certainement.

    Merci à vous.

  4. Feu mon épouse a terminé sa carrière dans la magistrature Président de chambre à la Cour d’Appel de Paris: j’applaudis donc le rejet de toute forme de pression sur la justice.

    Sur la question de la psychiatrie, je ne peux que conclure que l’accusé a tue Mme HALIMI parce qu’elle était juive. Si c’est le cas, je ne vois pas comment les juges puissent absoudre l’accusé de sa responsabilité pénale. Il savait manifestement très bien ce qu’il faisait.

    Cette affaire serait particulièrement pertinente ici aux E-U, où on va a grands pas vers la légalisation de la consommation de marijuana. Si tout meurtrier américain (et il y en a beaucoup) pouvait se dédouaner parce que ses facultés étaient « altérées » par la consommation de marijuana, il n’y aurait plus beaucoup de condamnations.

    • Il me semble que vous allez un peu vite en besogne : ce n’est pas parce que les-dits « intellectuels » prétendent que la judéité de la victime est le mobile de ce crime que c’est « parole d’évangile »…

      Et chapeau ! Ils sondent les coeurs et les reins, et à distance en plus ?
      Et peuvent donc juger des circonstances d’un crime et de la responsabilité de son auteur sur la seule base d’éléments ayant fuité dans la presse, éléments censés être couverts par le secret de l’instruction ?

      Dans ces conditions, plus besoin d’applaudir le rejet de toute pression sur la justice, il ne reste plus qu’à la supprimer en la laissant rendre par des intellectuels auto-proclamés, ou bien le CRIF, ou la Ligue de Défense Juive, ou alors la vox populi (et pourquoi pas mon chat ?) sans aucun procès ni débat contradictoire, ce qui sera beaucoup plus économique en ces temps de disette budgétaire pour tout ce qui concerne les services publics et la préservation des biens communs !

  5. Brillante démonstration dont les conséquences sont implacables ,c’est même réconfortant de nous rappeler que nous appartenons à cette civilisation .
    Mais en dehors de l’aspect judiciaire précis ,cette femme fut harcelée ,menacée ,avec des propos antisémites, qui constituaient déjà un délit, elle s’en est plainte,rien ne c ‘est passé …alors que c’était là qu’il lui fallait la camisole,Il aura fallut que le drame horrible annoncé se produise pour que sept experts se penche sur le cas .

    • C’est justement l’enjeu de fond occulté par l’article. Si la gestion des aliénés était sans défaut, nul se poserait de question sur les mérites d’une gestion toute médicale. Sauf que ce n’est pas une science exacte et que la société n’est pour autant pas un laboratoire.

  6. J’ai relu trois fois votre analyse pour comprendre la menace que fait courir une telle initiative extérieure. La perspective d’une justice impartiale, embrume les esprits… car elle ne se veut pas irréprochable ces temps-ci. Vous avez raison en conclusion de rappeler qu’il nous faut respecter ses « principes séculaires ». Là est la bienveillance !

  7. Bof.

    On peut bien s’amuser un faire un catalogue de ceux qui écrasent la foule en criant Allah Akbar par folie et de ceux qui entrent dans le Bataclan pour abattre « des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité », ou bien qui se rende devant des écoles pour abattre des enfants, comme si cela était tout à fait sain.

    La réalité, c’est que la psychiatrie est bien en mal de nous expliquer et de déterminer les contours de la folie.

    La noble idée, c’est de traiter le fou comme un malade. Noble idée. Mais, une fois encore, comment distingue t-on le Mohamed Merah du Kobili Traore ? La bouffée délirante de l’un ? Le discernement aboli ?

    On admet bien que l’altération du discernement par l’alcool n’est pas cause d’impunité lorsqu’il est circonstances aggravantes.

    Il faut alors bien admettre que c’est un choix social, d’avoir ce regard très optimiste sur le fou. C’est un choix social de priver la Justice de tout regard sur le devenir de l’intéressé, parce que l’enjeu réel est là.

    On sait tous que dans les prisons il y a une foule de gugusse qu’on aurait pu traiter de fou, que la politique carcérale est aussi une politique de gestion des aliénés.

    Mais voulez-vous que demain Kobili Traore soit remis en liberté sur simples critères médicaux, sans droit de regard de la Justice au rapport des actes commis ?

    On est bien malin avec nos codes qui déterminent les impunités pénales. On est bien certain que là réside tout le droit. On oublie tôt pourtant la raison même d’être du droit, en se pressant de laisser la psychiatrie se démerder.

  8. Les intellectuels devraient la boucler et attendre que les tribunaux se prononcent, selon les formes prévues par la loi. Très bien.

    Je suggère que les Gilets jaunes en fassent autant, rentrent chez eux, se taisent, et attendent les élections pour intervenir dans le processus démocratique, selon les formes prévues par la loi.

  9. Une fois de plus merci pour ce travail de clarification. La pétaudière des médias-réseaux sociaux laissant comme c’est la coutume la part belle aux calculs cyniques et partisans qui misent sur l’ignorance générale des questions de droits.

  10. Cet article fait preuve d’une mauvaise foi honteuse. La liberté de l’avocat de la défense ne subirait aucune atteinte ni restriction si on decidait de ne pas opposer un déni total de justice aux justes revendications de la famille de Sarah Halimi. Au cours d’un proces il aurait bien le droit de prétendre – dans ses plaidoiries – que le discernement de son « client » meurtrier était aboli ou altéré Omis de votre article sont tous les arguments qui démontrent à quel point les conclusions des « experts » sont mal fondées – ciblage de Sarah Halimi, et de personne d’autre, au moment de la « bouffée délirante aigue » supposée, lucidité qui l’a permis de trouver le meilleur chemin pour accéder à l’appartement de sa victime et d’essayer de faire croire aux policiers qui se trouvaient dans la cour qu’une femme serait sur le point de se suicider, etc.

    • Non. Je ne vous suis pas (@Paul Leslie).

      L’accusé est antisémite, c’est une évidence. Et son antisémitisme est culturo-cultuel. Comme chez la majorité des musulmans. Surtout ceux qui sont en Europe et pour qui l’antisémitisme sert de palliatif à leur déracinement (option optimiste, j’en ai bien conscience).

      Ce qui nous pose un problème général.

      Ceci étant posé, le passage à l’acte est une autre affaire. J’adhère à l’analyse de cet article que je trouve très mesuré et réfléchi.

  11. Cher Monsieur,
    Vous parlez de procédure contradictoire…
    Vous n’ignorez pas cependant que les parties civiles n’ont jamais été entendues, malgré leurs demandes réitérées.
    Peut- on savoir pourquoi, alors que la famille connaissait bien l’auteur du crime et aurait pu donner à la justice des informations précieuses.
    Pourquoi le Juge n’a pas accepté de faire une reconstitution?
    Là aussi on aurait pu mettre en évidence certains faits restés dans l’ombre.
    Il y a ici quelques éléments troublants donnant le sentiment d’une instruction uniquement à décharge qui n’est pas acceptable dans un tel trouble à l’ordre public.
    Je rajoute ici que la prise volontaire de substances illicites avant de commettre un acte répréhensible, est considéré comme circonstance aggravante et non exonératoire de responsabilité dans le code Pénal.
    J’espère que la Cour de Cassation pourra rectifier une telle jurisprudence qui permettra à quiconque d’assassiner impunément après s’être volontairement mis sous l’emprise de drogue illicite.
    Caroline Sitbon

  12. Je pense qu’il serait temps de soumettre tous ces « experts » à un test de dépistage pour voir s’ils n’ont pas abusé de substances illicites lors de la rédaction de leurs rapports tant leur discernement semble altéré. Conclusion: pour tuer quelqu’un en toute impunité, fumez un joint avant! Ce pays semble ne plus partager le bon sens et semble le plus en plus s’égarer dans le non sens, marcher sur sa tête malade, préférer la folie à la raison! Cette décision est scandaleuse et révoltante! Idem pour les politiciens, responsables mais jamais coupables, un non sens puisqu’il ne peut y avoir de responsabilité sans culpabilité possible, choisir c’est accepter de pouvoir se tromper et payer son erreur d’une façon ou d’une autre!

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