1914-1918 : Un centenaire pour quoi faire ?

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Le 11 novembre de cette année doit être le signal du lancement des cérémonies qui vont entourer le centenaire de la « très grande guerre ». Première grande commémoration qui se déroulera en l’absence des témoins de la tragédie, le dernier poilu Lazare Ponticelli nous ayant quittés le 15 mars 2008.

La classe politique, toutes tendances confondues, se prépare. Pour être au premier rang des commémorations1, pour prendre les initiatives officielles qui feront parler d’elles, plus de mille annoncées. Pour publier aussi comme Jean-François Copé, par exemple2. L’Université fourbit ses armes. Il y aura des vrais débats, de saines polémiques, et aussi des analyses définitives, des excommunications et des anathèmes.

Le monde de l’édition est prêt, plus de 500 ouvrages annoncés pour l’instant !  L’armée française, qui ne s’est jamais remise de la tragédie, qui a perdu toutes les guerres qu’elle a menées depuis, et qui voit chaque jour ses moyens diminuer, sa place dans la nation se restreindre, va probablement essayer de se revivifier par l’évocation du passé. Les sportifs ne seront pas en reste. Les All Blacks (le contingent néo-zélandais a perdu 20 000 hommes dans cette guerre), en tournée en France ces jours-ci, iront ranimer la flamme à l’Arc de Triomphe. Les maillots des joueurs français porteront le fameux bleuet à côté du coq lors du prochain tournoi des six nations. Les joueurs de tennis quant à eux honoreront Roland Garros tué en juillet 1918 aux commandes de son avion. Jusqu’à l’Académie Goncourt qui cette année s’est cru obligée d’honorer un livre portant sur cette période.

Lorsque l’on pense aux vains efforts de Dominique de Villepin pour ranimer la flamme napoléonienne au moment du 200e anniversaire d’Austerlitz, on se dit que décidément la Grande guerre a une place et un rôle exceptionnels dans la mémoire française.

Il y a beaucoup de raisons à cela. La principale est probablement celle qui concerne l’identité de ce pays. Identité malheureuse nous dit Alain Finkielkraut, mais qui trouve là un point d’ancrage d’une force étonnante. Probablement parce que les Français savent que ce que sont aujourd’hui la France et l’Europe vient de cette rupture, de ce grand ébranlement.

La fin des années 90, notamment au moment du 80e anniversaire du 11 novembre avait vu un grand regain d’intérêt pour la première guerre mondiale. Lionel Jospin alors premier ministre, fidèle en cela à sa tradition pacifiste familiale, avait lancé une polémique autour de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple. La polémique fut vive et surtout inutile. Elle masquait les véritables enjeux des commémorations. Dans un remarquable ouvrage publié à ce moment-là, pour répondre au contresens jospinien, Annette Becker et Stéphane Audouin Rouzeau3 avaient montré le caractère complètement faussé de cette approche et mis l’accent sur les trois questions qui travaillent la mémoire française de la Très Grande guerre

– La « brutalisation », qui explosera à cette occasion sur les champs de bataille, chez les civils et dans les nationalismes, partout.

– Le consentement à la guerre. La France a considéré qu’elle menait une croisade « civilisationnelle », guerrière. Une lutte entre le bien et le mal, pour un monde meilleur.

–  Le deuil consécutif à cette guerre,  qui va s’installer durablement et dont nous ne sommes pas encore remis.

Alors bien sûr, nous aurons à nouveau doit au débat sur les fusillés, à la réédition des superbes albums de Tardi. Il y aura ceux qui chanteront « la chanson de Craonne », et ceux qui entonneront « la Madelon ». Il y aura ceux qui privilégieront le simple soldat. Ceux qui polémiqueront autour de l’impéritie du commandement et les mérites comparés des généraux. On débattra de l’étonnante résilience de la IIIe République face à un tel événement et qui pourtant s’effondrera comme un château de cartes en juin 1940.

Mais, « retrouver cette guerre » c’est aussi en intégrer la dimension matricielle. Examinons attentivement l’Europe d’aujourd’hui qu’on nous dit construite sous cette forme pour éviter le retour de la guerre. Avec cette Allemagne réunifiée et puissante en son centre. Qui poursuit sa stratégie de puissance économique, obtenant dans la paix ce qu’elle n’a pu obtenir par les armes. Revenons sur l’éclatement de la Yougoslavie travaillée à l’époque par les mêmes forces qui furent à l’origine de la déflagration du 1er août 1914. Réfléchissons à ce mois de juillet 1914 qui vit la mécanique mise en place au XIXe siècle se déclencher inexorablement pour aboutir à la catastrophe.

Les livres nous disent que la Grande guerre s’est arrêtée le 11 novembre 1918, d’autres,  dont de Gaulle, qui savait appartenir à « la génération des catastrophes » qu’elle a pris fin le 8 mai 1945, d’autres encore le 8 novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin. Il s’en trouve aujourd’hui fort nombreux, pour dire qu’elle n’est pas terminée…

L’extraordinaire intérêt porté à cet événement relève bien sûr de ce que l’on appelle le travail de mémoire. Mais pas seulement. Cela concerne aussi la recherche de notre identité.

*Photo : Vadim Ghirda/AP/SIPA. AP21325874_000004.

  1. Demain à l’Elysée, le chef de l’Etat doit donner sa vision du Centenaire dans un discours annoncé comme solennel.
  2. La bataille de la Marne, Jean-François Copé, Taillandier, 2013.
  3. 14-18, Retrouver la guerre, Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, Nrf-Gallimard, 2000.

Régis de Castelnau

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