Manuel Valls : traverser le miroir dans l’autre sens.

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Il faut relire Lewis Carroll.

 L’escapade aérienne familiale et footbalistique du Premier Ministre à Berlin vient d’enflammer la sphère médiatique et celle des réseaux. Comme c’est la règle, on y trouve à la fois le pire et le meilleur, et surtout l’expression d’une joie mauvaise assez réjouissante.

On ne reviendra pas en détail sur ce qui constitue une faute politique majeure et risque de coûter cher à celui qui a préféré, pour lui et sa progéniture, un loisir de riches à une soirée devant un écran avec la piétaille socialiste du congrès de Poitiers. Simple bévue politique pour laquelle il est inutile d’utiliser les mots d’éthique et de morale, voire pire… En revanche, la joie mauvaise est moins l’expression de l’envie ou de la mesquinerie que celle du plaisir procuré par la séquence classique de l’arroseur arrosé. Que n’a-t-on entendu sur le dîner du Fouquet’s, le yacht de Bolloré, la candidature du prince Jean à la présidence de l’Epad ! Encore le jour même de la virée berlinoise, un tweet triomphal annonce l’arrivée des dirigeants socialistes en train à Poitiers alors que, suivez mon regard, d’autres s’étaient rendus à un meeting au Havre en avion privé (3200 euros payés par l’UMP). Mauvaise pioche, effet boomerang,

Le Premier Ministre – qui communique plus qu’il ne gouverne, disent les mauvaises langues – a pourtant mis en place une défense calamiteuse. Quatre ou cinq versions successives, aussi mensongères les unes que les autres, conclues par un dernier mensonge, par omission celui-là. Il a fallu que l’on apprenne par la presse que les deux fils de Manuel Valls étaient de la balade. Pour le justifier, on fit répondre qu’il restait de la place dans l’avion, alors pourquoi pas ? Sans mesurer que ce détail meurtrier finissait de pulvériser la thèse du voyage imposé par les fonctions de Premier ministre. Ne nous attardons pas sur l’argument de la quantité de travail du chef du gouvernement, qui présente le déplacement aux frais de la princesse comme une légitime compensation. Impossible de faire pire.

Face à cette débandade il a fallu que les copains s’y collent. Le Président de la République a repris à son compte du bout des lèvres la fable de la réunion de travail avec Michel Platini. Ce dernier, bon garçon, mais habile, a confirmé qu’il avait bien invité Manuel Valls à venir assister au match, mais sans être très clair sur le caractère professionnel de leur rencontre. Les préposés au sauvetage ont immédiatement embrayé : « Vous voyez bien qu’il y avait une réunion ! » Peine perdue, clameurs et ricanements redoublent. Manifestement, les caciques socialistes et leurs sympathisants ont lancé un championnat. C’est à celui qui trouvera l’explication la plus inepte. On trouve dans le peloton quelques vieux routiers confirmés : Bartolone, Le Foll, Cambadelis et quelques équipiers de moindre calibre. Mais deux athlètes ont réussi une échappée. Jean-Marie Le Guen, qui explique la virulence de la polémique par le caractère profondément rasoir du congrès de Poitiers. Comme les journalistes s’y ennuyaient, ils ont ouvert la chasse au Valls pour se distraire. Et puis un politologue ayant micro ouvert à France Culture, pour asséner qu’il s’agit d’un complot du « Parti des médias ». Leur but étant de faire diversion, pour empêcher de parler de l’événement majeur intervenu le 9 juin : l’annonce de mesures destinées à favoriser l’embauche dans les PME. Brillant, non ? Mais attention, très vive contre-attaque de Karine Berger dont on sait que dans la course aux âneries, elle enroule de grands braquets : « des déplacements (en avion) pour une réunion à l’autre bout du monde dans la journée, tout le monde en a fait ».

Et pour finir, repentance un peu piteuse de Manuel Valls, gamin pris en faute et proposition de remboursement très partiel.

Il y a un sujet qui n’a pas été abordé : la dimension juridique, voire judiciaire, de cet incident. S’agissant de Nicolas Sarkozy, on imagine bien que l’information judiciaire aurait été comme d’habitude ouverte dans la journée. Les « journalistes enquêteurs », comme on les appelle aujourd’hui, auraient publié moult documents et autres procès-verbaux. Perquisitions et garde à vue seraient déjà en cours. Pour l’heure, c’est le silence. Pourtant, la question est la même qu’avec Agnès Saal. La dépense exposée à l’occasion de ce voyage est-elle rattachable à la fonction de Premier ministre, ou s’agissait-il d’un voyage privé ? Dans la deuxième hypothèse, deux conséquences. Tout d’abord, le risque que s’appliquent des articles du Code Pénal réprimant la concussion et le détournement de biens publics. Ensuite, en vertu de la jurisprudence Villepin dans l’affaire Clearstream, la compétence du juge de droit commun et non de la Cour de Justice de la République. Franchement désagréable.

Soyons clairs : l’utilisation de cette voie serait ridicule. L’erreur de Manuel Valls est bénigne et le pénal n’a rien à faire dans cette histoire. La sanction politique est déjà très lourde. Et surtout, il me semble qu’il faut justement en rester à cette dimension politique. Comment le Premier ministre a-t-il pu être à ce point aveuglé et sauter à pieds joints dans ce piège ? Ne pas voir la contradiction avec ses propres cours de morale ? Ne pas comprendre que pour un chef de gouvernement qui impose au pays une purge austéritaire passablement indigeste, s’offrir des loisirs de milliardaire aux frais de la princesse risquait de faire une grosse tache. Et comment s’imaginer que ses adversaires (politiques) et ses ennemis (dans son camp) n’en profiteraient pas ? Je ne sais pas si la polémique est grotesque, mais elle était inévitable.

L’ayant un peu connu avant, j’avais pourtant gardé le souvenir de quelqu’un d’intelligent et rapide. Alors, comme beaucoup d’autres l’ont fait à gauche depuis 2012, aurait-il traversé le miroir ? Tournons-nous vers Alice, qui la première a traversé ce miroir. Lewis Caroll nous a dit pourquoi et quelles en étaient les conséquences. Au-delà du miroir, le monde est un espace de liberté et un refuge, alors que le monde réel est marqué par les interdits. De pion qu’elle était dans le pays des merveilles, Alice devient reine au-delà du miroir. Mais attention c’est aussi un monde inversé. Il faut courir pour rester à la même place. Les images que vous renvoient les miroirs sont fausses. Et plein de choses encore, difficiles et déroutantes. Et si l’on veut y rester il faut aussi finir par tuer le Jabberwocky. Après avoir compris son poème, et ça…

« Lfut bouyeure et les filuants toves…

girèrent et bilbèrent dans la loirbe…

Tout smouales étaient les borogoves…

et les dcheux versins hurliffloumèrent… ».

Camarades  du camp du bien, franchement il vaudrait mieux traverser dans l’autre sens et revenir.

 

Régis de Castelnau

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