Journée burkini: une question politique

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 Le média russe Russia Today m’a interviewé à propos de la polémique concernant  l’organisation d’une journée burkini dans un centre aquatique des Bouches-du-Rhône.

J’ai reproduit ci-dessous l’intégralité de cette interview. Ceux qui le voudront pourront également la lire sur le site de Russia Today.

RT France : Pourquoi la journée Burkini a-t-elle provoqué autant de polémique au sein de la société et a remonté jusqu’à la classe politique ?

Régis de Castelnau (R. C.) : Il faut d’abord voir cette polémique et son intensité comme un symptôme d’une situation particulière. Liée bien évidemment aux attentats terroristes dont la France est victime, qui ont vu quand même deux massacres de masse et l’attaque de symboles auxquels le peuple français est très attaché.

Les Français vivent mal les conséquences de la disparition de la machine à intégrer qui comprenait l’école, l’armée et du travail

Mais liée également aux problèmes particuliers posés par une communauté musulmane nombreuse issue de pays autrefois colonisés par la France. Les Français forment un peuple, en fait hétérogène, mais particulièrement attaché à son unité. L’existence d’un Etat fort, capable de faire tenir ensemble des régions qui, encore récemment, ne parlaient pas la même langue, est quelque chose d’enraciné dans la culture nationale. C’est la raison pour laquelle les questions d’intégration et d’assimilation étaient si importantes. Et les Français vivent mal les conséquences de la disparition de la machine à intégrer qui comprenait l’école, l’armée et du travail. Aussi, la tentative évidente de l’islam sunnite intégriste, de prendre le contrôle spirituel et politique de la «communauté musulmane» en France, est ressenti comme une agression. Et une mise en cause d’une unité déjà perçue comme fragilisée par l’affaiblissement trop visible de l’Etat.

Face à l’énorme tollé, les  politiques ont dû rapidement ranger leurs arguments imbéciles et mensongers, et battre en retraite piteusement

Il y a aussi bien sûr la vague terroriste islamiste qui suscite émotion anxiété et colère. Les tragédies du mois de juillet qui ont vu l’assassinat d’un couple de policiers devant leur enfant de trois ans, l’abomination de Nice le soir du 14 juillet et enfin l’égorgement d’un curé de 86 ans par un djihadiste récemment libéré par la justice française, ont été perçues au-delà de l’horreur, comme éminemment symboliques. Et comme on a assisté dans le même temps, de la part des élites médiatiques à l’expression d’un déni méprisant sur le caractère islamiste des massacres, la rage et la colère sont montées d’un cran. Je crois qu’il faut comprendre que dans leur immense majorité les Français n’ont aucune envie de céder à la provocation et de basculer dans la violence, mais ils ne supporteront plus toutes ces expressions qui témoignent de l’offensive religieuse et politique dont la France est l’objet. Il n’est pas sûr que l’histoire du parc aquatique aurait provoqué les mêmes réactions il y a un an. Cette fois-ci, la polémique s’est allumée brusquement et quelques élus ont volé au secours du salafisme, sans avoir mesuré qu’au-delà du terrorisme les Français ne veulent plus du laxisme vis-à-vis de la pénétration de l’islam intégriste. Face à l’énorme tollé, ils ont dû rapidement ranger leurs arguments imbéciles et mensongers, battre en retraite piteusement. Laissant la place, après l’annonce de l’annulation, aux élus plus malins qui sont venus bruyamment au secours de la victoire.

RT France : Sur votre blog «Vu du droit» vous évoquez «le caractère provocateur» de l’événement. Quel est son but ? A qui profite cette provocation ?

R. C. : L’association qui est derrière le montage de cette opération a un peu jeté le masque lorsqu’elle a publié un communiqué face aux protestations : «On est dans un pays faussement libre. Certaines femmes ne peuvent pas se baigner dans ce parc en temps normal car elles ont des convictions religieuses ou personnelles et ne souhaitent pas se dénuder devant certaines personnes».

Soit l’opération est maintenue et cela constituera une avancée supplémentaire de la cause salafiste, soit comme cela s’est produit, la manifestation est annulée et il sera alors facile de se présenter en victime.

Vous pensez bien que pour réserver une journée entière un tel équipement, il faut avoir quelques moyens. Et la clientèle susceptible de dépenser 15 euros par personne n’est pas celle qui habite dans les fameux quartiers Nord de Marseille. Bien que présentée par la publicité comme une opération commerciale, cela n’était qu’une manifestation à caractère religieux et politique destinée à créer un précédent. Une façon de tester la capacité de réaction à la fois de la population et des autorités. D’ailleurs ce qui démontre le caractère provocateur c’est le calcul qui était fait. Soit l’opération est maintenue et cela constituera une avancée supplémentaire de la cause salafiste, soit comme cela s’est produit, la manifestation est annulée et il sera alors facile de se présenter en victime.

Les formes d’organisation de cet événement contrevenaient à la loi.

RT France : Certains dénoncent une «polémique inutile» concernant l’événement. Pour vous, est-ce vraiment un débat dénué de sens ?

R. C. : Dès lors qu’il y a une question de cette importance en jeu, qui suscite tant d’émotions, il n’y a pas de débat inutile. Il valait beaucoup mieux qu’il y ait cette levée de boucliers et le débat qui s’en est suivi. Les échanges d’arguments ont pu avoir lieu, y compris même quand ils étaient totalement hypocrites, comme celui selon lequel s’agissant d’une opération «privée» il ne devait y avoir aucun problème. J’ai démontré que cela ne pouvait constituer une manifestation privée et que, dès lors que c’était une manifestation publique dans l’espace public, les règles édictées par les lois françaises devaient s’appliquer. En particulier le principe de non-discrimination, parce que par un singulier renversement, ceux qui se prétendent discriminés s’apprêtaient à interdire l’entrée non seulement aux non musulmans, mais également aux musulmans ne souscrivant pas aux régressions intégristes. Les formes d’organisation de cet événement contrevenaient à la loi. Alors, évidemment il vaut mieux qu’il y ait débat et que chacun prenne ses responsabilités, plutôt que d’aller vers des affrontements ou des troubles si la manifestation avait été maintenue.

Le port d’un burkini ne relève pas de la liberté d’expression religieuse dès lors qu’il peut être considéré comme un signe ostentatoire et prosélyte

RT France : Le port d’un burkini constitue-t-il une liberté d’expression religieuse ? La journée burkini ne s’inscrit-elle pas dans une logique de la société multiculturelle prônée par les autorités ?

R. C. : La France est un des premiers pays dans l’Histoire à avoir instauré une séparation rigoureuse entre l’Etat et la religion. L’enjeu au début du XXe siècle était de neutraliser l’espace public vis-à-vis de toutes les croyances et religions. Il est clair que cette neutralisation visait à donner la prééminence absolue à l’Etat républicain sur le plan temporel vis-à-vis des institutions religieuses. La première visée était bien évidemment l’Eglise catholique avec laquelle le compromis put être trouvé puisque la religion chrétienne sépare le spirituel et le temporel. Ce qui n’est pas le cas historiquement avec l’islam. Le port d’un burkini ne relève pas de la liberté d’expression religieuse dès lors qu’il peut être considéré comme un signe ostentatoire et prosélyte. Les plages et les piscines publiques appartiennent précisément à l’espace public et les règles vestimentaires qui s’y appliquent sont celles du respect de la sécurité, de l’hygiène, de l’égalité des sexes et de la pudeur.

Que certaines élites mondialisées aspirent au travers d’une fausse tolérance à une société civile morcelée et désunie, c’est possible

Quant à dire qu’il existe «une logique de la société multiculturelle prônée par les autorités», je crois que si c’est le cas, lesdites autorités feraient bien d’être beaucoup plus circonspectes. Que certaines élites mondialisées aspirent au travers d’une fausse tolérance à une société civile morcelée et désunie, c’est possible. Leur statut matériel les met à l’abri de tous les inconvénients qu’elle  pourrait recéler. Et puis, comme je l’ai dit plus haut, cette société multiculturelle, les Français n’en veulent pas. Il y a quand même une forme de racisme désinvolte qui consiste à dire «de toute façon, moi je me baigne tout nu dans ma piscine du Lubéron, mais si ça fait plaisir aux hommes musulmans d’imposer à leurs épouses le port du burkini, ça ne me gêne pas».

Il est possible sinon probable que l’on assiste au printemps prochain à des réajustements qui pourraient être brutaux

RT France : A moins d’un an des élections présidentielles en France, observez-vous une rupture entre les élites dirigeantes et la société ?

R. C. : C’est une évidence. Ce que l’on appelle les élites, rassemblent le capitalisme français endogame, c’est-à-dire celui dirigé par des hauts fonctionnaires pantoufleurs, les dirigeants politiques actuels dont la médiocrité n’est plus à relever et la partie du monde médiatique qui leur est directement liée. Elles sont soutenues par des couches sociales qui vivent dans les grands centres urbains connectés, et qui profitent d’une mondialisation alors que les conséquences de celle-ci sont très dures aux couches populaires. Comme l’a relevé le géographe Christophe Gilluy dans un ouvrage à paraître dans quelques jours (La France d’en haut) : «Les classes dominantes captent l’essentiel des bienfaits de la mondialisation. Comment ? En imposant un modèle inégalitaire et en exerçant une visibilité médiatique permanente et un rouleau compresseur culturel et moralisateur au nom des «valeurs» qui rend totalement invisible l’existence des classes populaires

De ce point de vue, il est possible sinon probable que l’on assiste au printemps prochain à des réajustements qui pourraient être brutaux.

Régis de Castelnau

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